Groupe:

Lag I Run

Date:

10 Décembre 2019

Interviewer:

Didier

Interview Nay Windhead

Salut Nay, d’abord peux-tu nous présenter ton projet Lag I Run?

Salut à toi ! Eh bien… en quelques mots je dirais que Lag I Run est une porte dérobée donnant sur mon jardin secret ; si vous daignez y entrer, vous y découvrirez de beaux vergers fleuris où il vous sera loisible de flâner à l’envi, autant que d’inquiétants et sombres recoins dans lesquels la logique vous jouera de vilains tours. Krys, Fred ainsi que Volo sont les gardiens de ce lieu.

D’abord un petit point sur les noms : tu t’appelles vraiment Nay Windhead ?

Ah ! Voilà qu’on tente de me percer à jour dès la deuxième question ! Effectivement tu as vu juste, mon véritable nom est… Bond, non je déconne. Je m’appelle Yann Morvant, tu comprendras que rien n’est jamais vraiment laissé au hasard… pour la petite histoire, lorsque j’étais enfant, ma sœur qui avait une imagination très fertile inventait tout un tas d’histoires terrifiantes au centre desquelles se retrouvait souvent un pauvre petit garçon du nom de Nay. J’utilise donc aujourd’hui cet enfant vieillissant -qui a grandi parallèlement à moi dans mon multivers mental- comme un avatar sur scène. C’est plutôt logique en définitive tout ça, non ?

Et donc le groupe s’appelle Lag I Run. J'ai beau être très bon en anglais, mais je ne vois pas trop ce que le nom du groupe veut dire. Tu es en retard alors tu cours ?

Héhé, eh bien il y a du vrai là-dedans ! On y trouve en effet la notion d’antagonisme qui peut nous rappeler ce cauchemar proverbial où l’on voudrait désespérément échapper à une situation alarmante quand nos pieds restent comme cloués au sol, et ces deux mots de trois lettres, « lag » et « run » forment une fausse symétrie, divisée par un « I » que je trouve symboliquement fort. Voilà pour ce qui est de l’explication factuelle, mais à cela il faut ajouter que le quartier qui m’a vu naître et qui est toujours le mien aujourd’hui s’appelle La Garonne, c’est donc aussi un clin d’œil à cet endroit dont j’essaye de m’extraire et qui me rappelle pourtant toujours à lui.

Moi j’avais pensé, vue la musique barrée que tu proposes avec Lag I Run, que c’était une référence cachée au lapin d’Alice Aux Pays des Merveilles ; mais bon, j’avoue je suis allé chercher loin…

Eh bien je ne trouve pas figure-toi, au contraire ! Peut-être pas seulement pour le lapin spécifiquement, mais qu’est-ce qu’Alice au Pays des Merveilles sinon l’enseignement brutal qu’il nous faut trouver une raison propre dans un monde absolument déraisonnable ?

Quelles sont vos sources d’inspiration musicales ?

Elles sont extrêmement variées comme tu peux t’en douter. Pour ma part, j’écoute de tout, du rock, de l’électro, de la new wave, de la musique minimaliste, du metal, de vieilles comédies musicales de Broadway et j’en passe… Je vais parler au nom de mes trois compères mais nous sommes tous extrêmement ouverts dans le groupe. Si la musique nous fait quelque chose c’est qu’elle est bonne, tout simplement.

Bon alors en 2010, on avait bien aimé le premier album, "Sunlight Scars", mais il aura fallu presque dix ans pour peaufiner le successeur. Que s’est-il passé ?

On a été aspiré dans un vortex ! Plus sérieusement, j’ai plus ou moins terminé la composition de « Vagrant Sleepers » en 2012, malheureusement une succession d’événements –qui pour la plupart n’avaient pas de rapport direct avec la musique- m’ont contraint à mettre LIR de côté pendant un certain nombre d’années. Mais à présent, nous sommes tous plus motivés que jamais à vous montrer ce qu’on cache depuis tout ce temps sous notre chapeau magique !

Donc aujourd’hui est-ce qu’il faut considérer Lag I Run comme le projet de Nay ou un groupe à part entière, et quid de la stabilité du line-up ?

A la base, LIR était bien plus un projet perso qu’il ne l’est aujourd’hui, lorsque j’ai composé le premier album je ne connaissais absolument personne ; mais dès lors qu’ils ont intégré cette drôle d’entreprise, Fred et Volo ont été les seuls bassiste et batteur du groupe à ce jour, et lorsque nous avons décidé ensemble que j’endosserais seul le rôle de guitariste, l’idée de prendre Krys –qui est aussi la compagne de Fred- s’est imposée comme une évidence. Malgré cette très longue absence sur scène, nous n’avons jamais cessé de nous voir et sommes devenus de véritables amis, ils n’ont jamais baissé les bras là où d’autres l’auraient fait très vite et pour cela je leur dois une reconnaissance éternelle. Je crois que ça répond à ta question concernant la stabilité de notre line-up, non ?

Alors revenons à nos moutons : ce second album, Vagrant Sleepers, pourquoi ce titre mystérieux d’abord ?

Les « Vagrant Sleepers », qu’on peut traduire simplement par les « dormeurs vagabonds », représentent pour moi toutes les personnes qui naviguent entre deux eaux, les inadaptés, les inaptes, ceux qui parcourent la réalité les yeux fermés pour mieux vivre la leur intérieurement. La plupart des textes de cet album traitent de ce sentiment-là, celui de n’être jamais à notre place nulle part. Les véritables « égarés » ne sont pas ceux qui font tout pour prouver au monde qu’ils le sont, mais ceux qui donneraient tout pour ne pas l’être. Il y a quelque chose de terriblement poétique là-dedans, et d’infiniment inspirant.

Alors c’est encore un album que j’ai beaucoup aimé et en premier lieu parce que c’est un album inclassable et j’adore ça. J’ai fini par le mettre dans Avant-Garde Metal, tu l’aurais rangé où, toi, si tu avais été disquaire ?

Très bonne question ! Je l’aurais rangé au rayon Rock tout simplement. Pour moi un groupe « inclassable » est généralement un bon groupe. Il y a beaucoup de musiques qui rentrent dans la catégorie « classable » et que j’apprécie ; néanmoins, on n’est pas des bêtes, mais globalement l’idée que des types puissent s’asseoir autour d’une table et se disent « bon, les gars on va monter un groupe de Zouk Metal Norvégien : je veux du Zouk, du Metal, du Norvégien, et BASTA!!!», j’avoue que ça me rend triste. Le terme « inclassable » est très souvent synonyme d’authenticité finalement ; si tu ne triches pas avec toi-même, qu’elle plaise ou non ta musique sera unique, et c’est pour moi l’essentiel.

L’originalité transpire tout au long de l’album, qui fourmille d’idées, tu sais que certains pourraient faire trois ou quatre morceaux là où Lag I Run en fait un ? Je pense par exemple à ton riff ultra rapide sur un break de The Isle qui ne dure hélas que vingt secondes.

Ahah ça n’est pas la première fois qu’on me parle de cette affaire de discographie complète en un seul morceau ! Je prends ça pour un compliment, bien que l’idée d’enrichir au maximum mes compos n’ait jamais été une fin en soi. Je comprends aussi tout à fait ton ressenti face à ce passage ! Pour rester sur cet exemple, en tant que compositeur j’apprécie que l’on puisse parfois rester sur sa faim. La frustration, si tant est qu’elle soit maîtrisée bien sûr (je laisse l’auditeur seul juge sur ce point) est un élément comme un autre de la composition, je ne cherche pas à faire plaisir aux auditeurs mais à raconter une histoire et si elle leur parle, ils s’apercevront que la frustration n’est jamais que passagère, et le goût de reviens-y prédominera !

Comment travailles-tu au niveau composition, pour garder cette multitude d’idées ? As-tu travaillé différemment de la première fois ?

Je ne crois pas avoir de schéma particulier en ce qui concerne la compo, généralement les idées me viennent spontanément et la plupart du temps sans instrument, ça peut tomber un peu n’importe où et n’importe quand, ensuite si cette ébauche mentale m’obsède assez pour que je la trouve intéressante, je la couche sur mon ordinateur, sans utiliser nécessairement ma guitare d’ailleurs, ça peut être un piano ou un ukulélé, qu’importe le flacon. En revanche, pour parler plus techniquement, je m’interdis de travailler mes lignes de chant en jouant de la guitare, pour ne pas me retrouver handicapé rythmiquement par cette dernière et écrire le plus librement possible ; ça n’est que lorsque j’ai trouvé ce que je voulais à la fois guitaristiquement et vocalement que je bosse les deux simultanément ! Et là généralement, je souffre…

Ce qui saute aussi aux oreilles c’est la quantité de très bons chœurs sur quasiment tous les morceaux. Il est difficile de ne pas penser à Queen en écoutant ça. C’est une inspiration pour toi ? Et qui chante d’ailleurs ?

Je serais le roi des menteurs si je n’admettais pas que Queen est un de mes groupes préférés, donc j’apprécie énormément la comparaison, merci ! Ce groupe ne s’est justement jamais imposé de limites et de frontières musicalement, ils étaient capables d’aller dans n’importe quelle direction tout en restant toujours Queen et j’aspire vraiment à la même chose avec LIR, sans parler de la théâtralité baroque de leur musique, des quatre musiciens extraordinaires qu’ils étaient et seront toujours, de leur capacité à écrire des morceaux à la fois complexes et mainstream, bref je pourrais continuer longtemps comme ça... pour ce qui est du chant, je m’occupe de la voix principale et sur album les chœurs sont chantés par Krys et moi-même. En revanche, en live, Krys a un système qui lui permet de superposer sa voix en direct en l’harmonisant à l’aide d’un clavier midi, elle s’occupe de ça tout en gérant les claviers ET les percus ; quand je disais que sa présence dans l’expédition était une évidence !

Pourquoi ce final à The Isle ? Tu penses que l’auditeur a besoin de quelques minutes de réadaptation pour se remettre de l’expérience Lag I Run ?

Ahah ! Un mois de thérapie serait plus conseillé mais faute de mieux… cette partie finale est en réalité un passage de la 9ème symphonie de Beethoven que j’ai renversée et pas mal traficotée, je n’en dirai pas plus sur ce point mais il y a derrière cette manipulation une explication que je… garde secrète ! En revanche, il faut savoir qu’une légende plane autour de la 9ème et du bon vieux Compact Disc, je laisse à ceux qui le souhaitent le soin d’aller élucider ce mystère sur internet !

L’artwork est assez curieux, d’inspiration onirique, un peu enfantine. Il n’y a aucun texte sur le petit livret qui permettrait d’expliquer un peu, tu peux nous en dire plus ?

Décidément, tu sauras tout à l’issue de cette interview ! Je vois ce que tu veux dire par rapport à une explication éventuelle, mais en vérité les dessins sont eux-mêmes déjà une grande clé de compréhension, au même titre que mes textes que nous devrions mettre sur notre site assez rapidement. Ces peintures ont toutes été faites par mon frère (Manuel Morvant), je voulais illustrer chacun des onze titres par un dessin que nous avions au préalable pensé longuement ensemble, en connivence avec les textes et la musique, donc. Au-delà de son talent et de son originalité indiscutable, personne d’autre que mon frère n’aurait été capable de comprendre aussi subtilement ce que je désirais et puis… nous avons grandi ensemble à La Garonne après tout.

J’ai lu sur la pochette que toutes tes parties avaient été enregistrées au Windhead Studio, c’est donc chez toi ? Tu t’occupes aussi d’autres artistes ? Sinon que fais-tu quand tu n’es pas chanteur/guitariste de Lag I Run ?

Lorsque l’on n’a pas les moyens de se payer un ingénieur du son et un studio, on les invente… Mais non je n’ai pas du tout la prétention de pouvoir enregistrer ou produire des artistes, je suis beaucoup trop lent, perfectionniste et névrosé pour faire une chose pareille ! A côté de LIR, je donne des cours de guitare. Pas besoin de plus, tant qu’on s’ôte de mon soleil, comme dirait Diogène.

Est-ce que vous allez tourner pour faire la promotion de cet album ?

Nous sommes actuellement en pleine recherche de dates et nous espérons en faire autant que possible pour pouvoir promouvoir cet album comme il se doit !

L’album possède une production assez riche et des apports de sons électro par exemple, vous arrivez à reproduire tout ça sur scène ?

Comme je te le disais, Krys s’occupe de jouer un maximum d’éléments à partir de son cockpit, mais Fred, Volo et moi-même avons, nous aussi des synthés lorsque les morceaux l’exigent ! Il y a des samples qui sont ajoutés par-dessus tout ça, mais tout ce que tu entends en concert au niveau des voix/guitare/basse/batterie est joué live ! A ce propos et pour ceux que ça intéresse, il existe trois vidéos sur Youtube que nous avions enregistrées en guise d’expérimentation dans mon salon et qui montrent très bien de quoi il retourne !

Une chance de vous retrouver sur des festivals l’été prochain ?

A l’heure actuelle, rien de précis, mais encore une fois nous allons tout faire pour trouver des organisateurs assez fous pour nous sélectionner !!!

D’autres choses prévues pour Lag I Run ou bien vous allez rentrer en hibernation pour encore dix ans ?

Ahah ne parle pas de malheur ! Tout ce que nous espérons à l’heure actuelle, c’est que les bonnes critiques continuent de pleuvoir comme elles le font depuis la sortie de notre album, que les gens soient de plus en plus nombreux à connaître notre existence et que les festivals/salles de concert nous considèrent comme ce que nous sommes en définitive, un groupe très sérieux dans le paysage rock/metal français et qui a beaucoup, beaucoup de choses à dire !

Je t’avais croisé dans un soirée tribute à L'Althérax de Nice. Tu jouais dans Black Stone Baby, un tribute band Black Stone Cherry, j’espère t’y recroiser avec Lag I Run cette fois. En tout cas, merci pour ton temps.

En effet, je m’en souviens très bien, on s’était d’ailleurs bien marré avec mes potes de BSB ce soir-là, en mode Kentucky. J’ai beaucoup moins de chose à gérer qu’avec LIR et je peux allègrement me concentrer sur le Bourbon ! Cette salle et les gens qui y bossent sont très sympas, ce serait donc un plaisir d’y retourner à l’occasion ! Merci à toi pour ces questions très pertinentes, je me sens un peu tout nu maintenant... mais par la même occasion, beaucoup plus léger !

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