Abstrusa Unde

Interview date

12 Février 2012

Interviewer

fifi59

I N T E R V I E W

Interview Thibault Schwartz (par mail)


Salut Thibault, merci d'accorder cet entretien au webzine auxportesdumetal.com. Pour commencer, peux-tu nous présenter les membres du groupe ?

Abstrusa est un projet perso qui m'a amené à monter une sorte de collectif à partir de fin 2007 : j'avais composé des morceaux avec pas mal de parties instrumentales et je m'étais fixé comme challenge de monter le projet pour de vrai, pas à base d'instruments virtuels comme je l'envisageais au début (les VST c'est bien, les vrais instrus c'est mieux). Le groupe s'est donc constitué autour d'un line-up de base assez traditionnel - batterie/basse/guitare/clavier, qui est resté à peu près identique depuis le début : Alexis à la basse, Matthieu aux claviers, et moi à la batterie. Plus tard, Renaud est venu prendre la place de notre ancien guitariste, et a tout de suite apporté sa petite touche sur les compos (vu qu'en tant que batteur qui se respecte, j'aime écrire des partitions pour gratteux à seize doigts... Renaud a rationalisé la chose et a apporté beaucoup de fluidité sur les parties de guitare). Simultanément, j'ai cherché des instruments acoustiques pour compléter la base "amplifiée" du projet et me donner un peu plus de liberté en terme de timbres : initialement deux violons et un violoncelle. Sur "Introspection", Diane est au violon et a enregistré les deux parties, et Céline a assuré les parties de violoncelle. J'ai également fait appel à Elodie pour quelques interventions à la clarinette. Ce qui fait donc un ensemble de sept musiciens pour la partie instrumentale, sur lequel j'ai greffé différents styles de chants. Perrine a rejoint le groupe dès le début pour les chants clairs féminins, et j'ai partagé les voix masculines entre Augustin (chant black / Ex-Taliesin) qui est arrivé un peu plus tard dans le projet, Aurélien (growl / Ex-Borgia) qui a gonflé les troupes pendant l'enregistrement, et moi qui interviens en growl, sur des passages narrés et quelques samples. J'aurais bien voulu avoir un peu de chant clair masculin mais pour l'instant je n'ai malheureusement trouvé personne pour donner la réplique à Perrine. Donc, chers chanteurs ayant encore des cordes vocales, n'hésitez pas à nous envoyer un mail...

Pourquoi avoir appelé le groupe Abstrusa Unde ?

Au tout départ, j'étais parti pour faire d'Abstrusa un projet de dark ambient et du coup je cherchais un nom qui pouvait relier mon désir d'exploration et le travail de sampling inhérent à ce style. J'ai donc fait une (mauvaise ?) traduction d'"Onde Abstraite" en latin (parce que le latin c'est "trve" comme tout le monde sait...), et ça a donné le nom du groupe. Le temps de trouver le nom, j'avais déjà réorienté le style musical du projet et mis à distance les compos 100% nappes, mais bon, le mal était fait. Je trouve que ça sonne pas trop mal, et c'est difficilement lisible sans même avoir besoin de faire un logo à base de chiasse de mouton, donc ça me plait.

Quel est le parcours d’Abstrusa Unde depuis sa création ?

C'est le parcours long et fastidieux d'un groupe où y a plein de monde. Rassembler des gens pour faire un boeuf c'est facile, rassembler neuf ou dix personnes avec des emplois du temps différents pour jouer des mesures en 7/8 c'est une autre paire de manche. Après deux ans de répétition, de changements incessants de line-up et de problèmes d'organisation et de motivation chez certains des musiciens, j'ai compris qu'il fallait arrêter de faire des morceaux avec des changements de structure partout - un enfer à monter - si je voulais finaliser quoi que ce soit. Comme j'assure la composition dans mon coin et qu'on travaillait avec une maquette MIDI à l'ancienne, je suppose que le manque de matériel enregistré pouvant illustrer ce vers quoi je voulais tendre en terme de son a participé à l'échec de cette première version d'Abstrusa. Matthieu et moi passions en réalité nos samedi à répéter soit avec Abstrusa, soit avec un groupe de reprise qu'on avait monté et avec lequel on travaillait "Metropolis Part I & II" de Dream Theater, donc c'était globalement l'orgie de plans à la con toute la journée. Une fois résignés à abandonner les compositions initiales pour lesquelles j'avais monté le groupe, on a enregistré sous forme de démo une partie de ce qu'on avait monté, et je me suis mis à composer des nouveaux morceaux plus simples, le reste étant injouable en l'état. C'est avec ces morceaux qu'"Introspection" a commencé à prendre forme. Cela a réglé pas mal de problèmes, et on arrivait enfin à jouer ensemble et proprement. On en a profité pour tout mettre en boite avant que nos études - on était presque tous étudiants - casse cette dynamique. Après l'enregistrement d'"Introspection" - en 2009-2010, j'étais totalement épuisé par mes études et le travail que je faisais en parallèle donc j'ai mis en pause le projet. Maintenant que les études sont finies, je remet la machine en route avec Renaud (qui entre temps a rejoint Wormfood) et avec le soutien de notre nouveau label, Apathia Records, mais je considère Abstrusa comme étant désormais un projet studio, ce qui va nous permettre - j'espère - de revenir à des compositions bien plus expérimentales, libérées des contraintes liées aux répétitions.

Quelle est ta définition de la musique d’Abstrusa Unde ?

En l'état, je dirais que c'est du black sympho croisé avec un peu de prog, un peu de jazz, un peu d'éléctro, un peu de plein de choses... Trop peu encore je pense, pour être honnête. Pour la suite, j'aimerai que ces influences s'intègrent dans des plans moins faciles à digérer, et travailler sur des pistes plus longues pour laisser le temps à cette accumulation de sonorités de s'installer, sans systématiquement créer ces ruptures d'ambiances un peu brutales qui peuvent caractériser notre musique sur "Introspection". En tout cas, on continue de faire ça pour se faire plaisir, on a ni la culture ni les ambitions ni le niveau des chercheurs de l'IRCAM, on fait ça pour se défouler avant tout. Mais après avoir joué dans différents groupes de Death et de Black qui bourrinaient juste pour bourriner (ce qui est fort plaisant au demeurant), j'utilise Abstrusa pour chercher d'autres façons de décompresser avec un peu plus de subtilité et de mélodie. Si ça peut faire plaisir à d'autres par la même occasion, tant mieux, mais à la base ce projet reste une entreprise totalement égoïste. C'est de là que vient le titre de l'album d'ailleurs.

Quelles sont vos influences au sein du groupe ? De quelles formations vous sentez-vous proches ?

Comme nous venons chacun d'univers musicaux très différents (par exemple, j'ai eu une formation musicale très orientée Jazz et percussions contemporaines pour ensuite me mettre au Death et au Black, tandis que d'autres membres du groupe sont plutôt du côté du Stoner ou de la musique de chambre) le groupe brasse des influences très diverses. On est plusieurs à avoir eu la chance d'avoir une formation en conservatoire, donc on a gardé un peu de la consanguinité propre au classique également. Dans la composition, je reste influencé par des groupes que j'écoute souvent comme Arcturus, Borknagar, Sleepytime Gorilla Museum, Solefald, Ulver, Emperor, Dream Theater, Karjalan Sissit, Anglagard, Shining et Angizia ; et d'autres groupes comme Windir, Ondskapt, les vieux Therion et les vieux Dimmu Borgir, Empyrium, Benighted, Strapping Young Lad, qui, a une période, ont eu un rôle important quand j'ai découvert la scène metal. Quand j'écris des morceaux pour Abstrusa, j'aime penser que je fais copuler tout ça dans ma tête (musicalement n'est-ce pas, parce que Gene Hoglan se faisant prendre par Kvarforth dans une forêt enneigée ça me fait pas spécialement fantasmer...).

"Introspection" est un superbe album, original, riche et magistralement interprété. Je présume qu'au sein du groupe vous êtes pleinement satisfaits de cet opus !

Merci ! C'était vraiment un soulagement de finir cet album. C'était le "proof of concept" qui manquait pour valider le travail effectué pendant trois ans. On en est tous satisfaits, même si on est les premiers à grincer des dents quand on l'écoute vu qu'on entend tout ses défauts. Mais c'est une bonne chose, ça motive les troupes pour continuer à affiner ce qu'on a mis en place, et on reste fier de l'avoir fait. D'ailleurs on a été surpris par le nombre de retours positifs sur l'album, on peut dire qu'Internet nous a réellement aidé à propager notre musique dès le début, et recevoir des mails de soutient en Japonais, en Tchèque ou en Italien est vraiment quelque chose de sympa.

Vous êtes dix au sein d’Abstrusa Unde, avec notamment trois chanteurs, une chanteuse (quelle superbe voix !) et des instruments classiques. Le résultat final nous amène vers un Metal Avant-Gardiste prenant. Quel a été le processus de composition pour "Introspection" ?

"Introspection" s'appuie sur une ancienne série d'une dizaine de morceaux instrumentaux, et d'autres riffs que j'ai écrit en parallèle des répétitions à partir de 2007. Il y a aussi des plans de "Carrousel" qui provenaient d'un lointain projet ancestral de Matthieu, qui prenait la poussière numérique depuis quelques années. Quand je me suis mis à composer pour la "deuxième version" d'Abstrusa, qui allait devenir "Introspection", j'ai essayé de faire des titres qui permettaient de tirer parti de ce qui marchait bien avec ce groupe à neuf : les dialogues entre la partie "metal" et la partie "classique", les grosses nappes de clavier contrebalancées par les cordes, les qualités vocales de Perrine et Augustin, et mon envie d'éviter le simplisme dans les arrangements. Je composais également les parties en prévision de l'enregistrement : je ne voulais pas retomber dans les problèmes de jouabilité qui avaient tué la version précédente, donc j'ai essayé de faire du "sur mesure" pour chaque membre du groupe. Après l'enregistrement, il m'a fallu un an avant d'être satisfait des structures des morceaux et leur enchaînement, beaucoup de choses ont changé lors du mix, notamment sur les plans au clavier.

Je trouve le son excellent, bien adaptée à la musique pratiquée. Comment s'est déroulé l'enregistrement de "Introspection" ?

Merci. Le mix n'est pas spécialement un point fort de l'album en fait : vu que j'ai tout enregistré et mixé moi-même dans ma chambre avec du matériel début de gamme, en apprenant au fur et à mesure (et surtout en recommençant tout un certain nombre de fois), l'album ne rend pas forcément très bien sur tous les systèmes. Certains chroniqueurs ont été super sévères sur le son, pourtant je pense qu'il suffisait juste de remettre le potard Trebble à zéro sur leur chaine (à force d'avoir des CD avec plein de basses partout, les gens prennent l'habitude de faire péter les aigus pour pouvoir distinguer autre chose que la grosse caisse)... Pour le prochain album, nous ferons appel à un ingé son pour le mix, et je vais investir dans du matériel de prise un peu meilleur, ça nous enlèvera - j'espère - cette épine du pied. Pas pour faire plaisir au chroniqueur, mais juste histoire d'être sûr que la gratte de Renaud sonne pas comme un ukulele sur un quart des chaines, parce qu'autant j'aime faire des mélanges, autant le ukulele c'est pas spécialement mon délire... Hormis ce problème d'égalisation, j'ai essayé de faire de mon mieux et je pense que pour un album fait avec 0€ de budget, c'est largement audible. Sinon, concernant l'enregistrement, les différents instrumentistes ont enregistré chacun pendant un ou deux jours, parfois dix ou douze heures d'affilée parce que c'était difficile de trouver des créneaux où on pouvait vraiment travailler sans être dérangés donc on en profitait. Ca a donné lieu à quelques situations assez délirantes (neuf heures non-stop de growl, de blast ou de violon avec le clic à balle dans les casques, faut les rentrer), maintenant on en reparle en rigolant mais globalement j'ai un peu fait mon tyran. Enfin bon, c'était pour la bonne cause ;).

Qui s'est occupé de l'artwork ?

Encore moi. Déformation professionnelle je suppose. A défaut de savoir quel type de visuels je souhaitais utiliser pour la pochette, je savais au moins ce vers quoi je ne voulais pas tendre. Quand j'ai trouvé le titre de l'album, ça a simplifié grandement les choses. Pour la rune c'était une autre histoire, ça m'a pris un peu plus de temps. Je reste convaincu qu'un bon logo est un logo qui peut être dessiné sur des tables de collège avec un bic pourri.

Comment perçois-tu l'évolution d’Abstrusa Unde depuis ses débuts jusqu'à "Introspection" ?

Quand j'ai commencé à monter le projet, on venait presque tous d'avoir notre bac, donc c'est clair qu'entre les premiers morceaux et ceux d'"Introspection", on a quand même gagné en maturité, et nos expériences musicales personnelles nous ont permis de progresser techniquement et de rendre possible l'enregistrement de l'album. Sinon l'évolution du groupe a plus été d'ordre sociologique, c'était pas toujours simple de garder une cohésion...

A quoi s'attendre lorsqu'on va découvrir Abstrusa Unde en concert ?

On a abandonné l'espoir de se produire sur scène dans un avenir proche donc je pense que "une estrade vide" est une réponse pertinente. On a essayé de jouer deux fois sur scène avec ce projet, et c'était un massacre (c'était encore les anciens morceaux avec les structures foireuses, pas les morceaux d'"Introspection"). On a beau avoir l'habitude de se produire avec d'autres groupes qu'on a en parallèle, le problème avec Abstrusa est assez simple : à condition de trouver une salle potable et accessible (ce qui est dur dès qu'on est autre chose qu'un quatuor), jouer à neuf sur scène à alterner du 13/16 et du 7/8 sans retours et avec des balances faites avec des moufles, c'est juste totalement ingérable. Tu as beau y mettre toute l'énergie que tu veux, jouer à l'aveugle ce genre de morceaux n'est pas possible. Donc, si un jour une occasion se présente d'avoir une scène sur laquelle on peut jouer normalement et avec un son correct, je remettrai en place un line-up live sans hésiter, et il y a des chances que ça envoie du pâté à dix sur scène (le rendu en répétition lorsqu'on était au complet était déjà bien sympa). En attendant, je préfère concentrer les efforts sur l'écriture de la suite d'"Introspection".

Où en êtes-vous au niveau de la recherche d'un label ?

Nous sommes désormais chez Apathia Records, qui s'occupe de la distribution de notre album.

Comment êtes-vous arrivés chez Apathia Records ? Comment se déroule la collaboration avec le label ?

Lorsque Wormfood a signé chez Apathia il y a quelques mois, Renaud a débuté une discussion avec le label pour savoir s'ils étaient éventuellement intéressés pour collaborer avec nous. Il m'a alors mis en relation avec Apathia et nous nous sommes accordés pour qu'ils poursuivent la distribution d'"Introspection" et la communication autour de l'album. Ils ont vraiment fait un excellent travail. Donc c'est avec grand plaisir qu'on continuera de bosser avec eux pour la suite.

De quoi va être fait l'avenir proche ou plus lointain d’Abstrusa Unde ?

D'écriture, de sampling, de pistes plus longues et - j'espère - mieux équilibrées. J'aimerais que ce soit un double album.

Quel est ton meilleur souvenir lié à Abstrusa Unde ? Et le pire ?

Le meilleur : lors d'une des premières répètes où on était presque au complet, lorsque ça a commencé à sonner. Jusque là j'avais juste écrit les plans en MIDI et j'étais pas encore sûr qu'avec des vrais instruments ça allait marcher. Et puis on a essayé de filer un morceau, et la fin s'est révélée totalement jouissive à jouer à la batterie, avec le gros mur gratte+clavier+violons+chants derrière. C'était la satisfaction d'entendre qu'un ensemble tout rafistolé comme ça pouvait vraiment envoyer du lourd, pas que sur le papier. Le pire souvenir est survenu quelques temps après, quand on a voulu jouer sur scène ces morceaux qu'on avait bossé depuis des mois et que l'ingé son a gentiment coupé les retours au dernier moment parce qu'il n'avait pas assez de jus pour les alimenter... Du coup on s'entendait pas, c'était dramatique, ça a juste démoralisé tout le monde cette soirée.

Que penses-tu de la scène Metal française actuelle ?

Pour être honnête, autant avant je passais mon temps à écouter et à aller voir des groupes jouer (dans feu les salles parisiennes avec des concerts à des prix décents), autant aujourd'hui je me suis un peu déconnecté de tout ça, notamment à cause de mon activité principale. Mais aux dernières nouvelles, la scène Française avait l'air de plutôt bien se porter avec des groupes comme Alcest, Blazing War Machine, Benighted, Kronos, The CNK, etc.

Qu'écoutes-tu en ce moment ? As-tu dernièrement pris une grosse claque avec un album ?

En ce moment je me fais une cure d'Anaal Nathrakh, et ça fait du bien. (...). Sinon je n'ai pas trop eu le temps de découvrir de nouvelles choses récemment, ça m'arrive toutefois de redécouvrir des albums que j'avais totalement oubliés de temps en temps, dernièrement c'était "Moon In the Scorpio" de Limbonic Art.

Je te remercie pour cette interview et te laisse le mot de la fin !

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