Artiste/Groupe:

Cwealm

CD:

Odes To No Hereafter

Date de sortie:

Septembre 2016

Label:

Dusktone

Style:

Black-death mélodique

Chroniqueur:

Olphuster

Note:

13/20

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"Goya, cauchemar plein de choses inconnues,
De foetus qu'on fait cuire au milieu des sabbats,
De vieilles au miroir et d'enfants toutes nues,
Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas ;"

("Les Phares" in Les Fleurs du Mal, Baudelaire)

 

Cette épigraphe empruntée à Baudelaire ne doit rien au hasard, d'abord de par la pochette, qui fixe assez vite un horizon d'attente. 

Il s'agit en effet de Fraile hablando con una vieja ("Moine parlant avec une vieille") de Francisco Goya, une peinture dont le style rappelle la série des "Peintures Noires" qui a fait sa renommée. D'emblée, ce sont les regards des deux personnages qui captent l'attention : la vieille, édentée et enveloppée dans un châle bleu terne, nous regarde avec une expression d'épouvante, comme si elle était sur le point de fuir ; le moine quant à lui grimace comme s'il poussait un cri, effrayé par quelque chose qui échappe à notre vue. Ensuite, le travail de la lumière ne nous laisse voir distinctement que les deux visages, abandonnant le reste à une ombre dévorante.

Il est tentant d'y voir une vision apocalyptique, comme si le désespoir qui se lit dans le regard des personnages venait de cette ombre, qui les engloutirait peu à peu et condamnerait tout salut.

Le projet musical Cwealm en lui-même naît en 2014, rassemblant nombre d'idées musicales qui fourmillaient depuis longtemps dans l'esprit d'Astraeus, son créateur. Offrant un hommage sincère et cependant très personnel au Black-death mélodique, florissant dans la scène suédoise du milieu des années 90 (Dissection, Unanimated, Vinterland), ce premier album en concentre les ingrédients majeurs, tel que le souligne sa description sur la page dédiée du label Dusktone : "puissance, richesse mélodique, technique, et atmosphères glaciales". Il incorpore également des influences musicales allant du chant grégorien aux comptines de cirque macabres, bref, un panel propre à susciter ce sentiment de fascination morbide que l'artiste suggère en citant Emil Cioran : "La vie n'est rien, la mort est tout". 

L'album s'ouvre sur un prologue où un orgue menaçant, suivi d'un carillon qui semble sonner le glas, nous transporte dans une nef spectrale. 
On enchaîne alors sur le morceau Pale Maleficence. Après quelques mesures d'intro, on a plaisir à découvrir le chant d'Astraeus, âpre et corrosif, assez remarquable quoique dans le plus pur style du chant black. Ce n'est pas sans surprise non plus que surgit au milieu des riffs énergique un break ternaire, où les guitares miment quelque ritournelle maléfique de carnaval. Les jalons sont posés, et l'on sait que l'on a affaire à un album habité de ténèbres malsaines, ce qui nous est confirmé par les mots que psalmodie en latin une parodie de chœur grégorien : "saint Satan, notre maître le diable, viens, diable éternel et tout-puissant".

Wither, Tainted Crown commence in medias res avec un puissant blast beat. On se situe là dans un registre plus proche de la tradition du black avec un ton plus grandiloquent, qu'on retrouve dans des morceaux tels que Niddhugs Hymn (du nom du dragon vivant sous Yggdrasil dans la mythologie nordique). On trouve des breaks raffinés où s'insèrent à nouveau des chœurs d'imitation grégorienne et des bridges ternaires dans la veine "musique de cirque noir", mais aussi çà et là des progressions harmoniques d'inspiration classique, voire baroque comme sur The Transcendent One. Néanmoins, on ne peut s'empêcher de ressentir vers le milieu-fin de l'album un certain manque de variété dû à la récurrence de certines structures. 

A côté de riffs épileptiques en tremolo picking caractérisant des morceaux comme Serpent of Rebirth, on apprécie les moments où le tempos se calment quelque peu pour nous laisser apprécier le talent de composition : c'est le cas dans ce même morceau lors d'un groove central, où s'adjoint un clavier à la frontière entre clavecin électrique et imitation de dulcimer dans quelque influence orientalisante, mais aussi dans Black Gall (Poisoned Arrows), où l'on peut noter l'utilisation d'intervalles majeurs pour accentuer le sentiment inquiétant ; d'ailleurs, le segment final, combinant l'orgue gothique, les chœurs, mais surtout un riff de guitare presque typé djent a de quoi surprendre. 

Kadavret, dernier grand pic d'intensité, est l'un des rares titres qui s'ouvre par une intro relativement minimaliste. 
C'est un piano - au son cheap sûrement assumé - qui l'inaugure, avant qu'on bascule dans ce qui est sans doute un des riffs les plus nerveux de l'album. L'alternance entre binaire et ternaire dynamise beaucoup la progression du morceau, on a presque le sentiment d'être emportés dans une mascarade endiablée, à la façon des danses macabres médiévales, où le potentiel mélodique des guitares est mis à l'honneur. A la fin retentit un cri final d'Astraeus qui finit par se perdre dans l'espace, comme pour marquer les derniers soubresauts de cette crise qui traverse tout l'album.

Ödesdödens Kalk, enfin, fait office d'épilogue avec un côté "mélopée funèbre" qui nous laisse sur un final en suspens. 


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Pour les amateurs d'extrême qui aiment voir technicité et mélodicité s'illustrer dans le mélange de genres détonant que constitue le black-death, Odes To No Hereafter de Cwealm est certainement à découvrir, ne serait-ce que pour sa manière très personnelle de s'approprier ses influences. 
Toutefois, s'il y a un bémol à relever, ce serait certainement le manque de variété globale des titres, qui va de pair avec un manque de "respiration". Typiquement, les morceaux qui ont attiré mon attention sont ceux qui offrent une réelle progression rythmique et mélodique, quitte à parfois offrir une pause clean avant de repartir (Pale Maleficence, Black Gall (Poisoned Arrows), Kadavret), et j'aurai voulu en entendre plus dans l'ensemble. Au lieu de cela, l'expérience d'écoute globale est tellement saturée en intensité qu'elle finit par perdre de sa saveur au bout de cinq ou six morceaux.

Pour résumer, c'est donc un premier album réussi et prometteur pour la suite, mais qui à mon sens peut aller encore plus loin dans la prise de risque et le renouvellement du genre. 
Mais vous aurez remarqué que la jaquette en tout cas tient bien sa promesse.  

Tracklist de Odes To No Hereafter : 

01. Saktmörkret
02. Pale Maleficence
03. Wither, Tainted Crown 
04. Serpent of Rebirth 
05. Black Gall (Poisoned Arrows) 
06. Nidhuggs Hymn 
07. The Transcendent One 
08. Kadavret 
09. Ödesdödens Kalk