Artiste/Groupe:

Janne Westerlund

CD:

There's A Passage

Date de sortie:

Février 2017

Label:

Ektro Records

Style:

Dark Blues

Chroniqueur:

Olphuster

Note:

14/20

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Belle découverte du mois de février, Janne Westerlund fait partie de ces artistes énigmatiques sur lesquels on tombe au gré des chemins taris des toundras et des no man’s land, un de ces fous errants, tout droit sortis des Campagnes hallucinées de Verhaeren, qui cherche désespérément Dieu tout en sachant qu’il n’existe plus. 

Avant de s’engager plus loin dans l’œuvre, attardons-nous sur l’homme.

Janne Westerlund, auteur-compositeur et interprète finnois, est connu pour être membre depuis 2001 du groupe de rock expérimental Circle, et des projets Pharaoh Overlord et Plain Ride qui en dérivent, respectivement plus orientés stoner et folk. Après quelques écoutes variées, on identifie assez vite ce goût et cette patte qui conjugue krautrock, ambient, noise expérimentale, mais aussi blues et folk un peu roots teintés de minimalisme.
C’est dans cette dernière veine que s’illustre son projet solo, dont l’esthétique se décline le plus souvent comme suit : une voix rauque accompagnée d’une guitare à l’accordage grave, d’un banjo ou même d'un dulcimer, et parfois de quelque percussion sourde qui bat inlassablement la mesure. Le tout n’est pas sans évoquer une figure de barde des temps modernes, sillonnant l’Ouest sauvage et colportant de ville en ville des histoires lointaines, oubliées. Et bien évidemment, on se doute que le ton global est loin d’être enjoué ou dansant, bien au contraire : il se dégage des mélopées de Westerlund une mélancolie d’exilé, on pourrait même dire de nostalgique de l’existence, qui trouve une continuité dans There’s a Passage, successeur de l’opus très sombre et révélateur Marshland. Je recommande d’ailleurs une écoute du poignant It takes a Strong Jesus issu de ce dernier, qui donne une idée de la force de son approche musicale.

L’ouverture de l’album a de quoi surprendre, avec So Messed Up, un chant choral a cappella, qui ressemble à un hymne solennel au genre humain : « We as the residents of chaos, We who cannot rest, We as the citizens of existence, We with hollow chairs », comprendre « Nous les résidents du chaos, nous qui ne pouvons trouver le repos, nous les citoyens de l’existence, nous et nos chaises creuses ».
On enchaîne avec Sick Child, où guitare unplugged et clean se partagent un ostinato pesant, rythmé par une percussion ethnique, sur lequel se posent les vocalises rauques de Janne, telles un mantra ou un chant quasi chamanique. Et là, vous vous dites « mais qu’est-ce que c’est que cette voix ? », et vous auriez raison. Car ce que l’on remarque de prime abord déjà plus ou moins dans le premier morceau, c’est que la performance vocale de Westerlund a de quoi rebuter de prime abord : quand je vous parlais de sa voix rauque, ce n’était pas une coquetterie pour suggérer une voix fringante de guerrillero respirant la testostérone, elle est vraiment rauque. Rocailleuse, nasale, chancelante par endroits, et elle évoque plus la déliquescence que l'héroïsme.
J’y reviendrai plus loin, mais je vous encourage dans votre écoute à ne pas vous en arrêter là, vous vous priveriez de quelque chose.
     
Le rythme s’accélère un peu avec Run No More et son riff grave de croches joué à l’acoustique. Les percussions et rares instruments qui viennent habiller les arrangements se veulent et s’assument de facture cheap : à titre d’exemple, les sons de cuivres et de percussions qui sentent l’instru virtuel à plein nez, mais qui fonctionnent avec l’univers très désabusé de notre artiste, flirtant un brin avec le shoegaze vers la fin. Days of Love adopte une rythmique plus lente et pesante, à la façon d’une marche austère scandée par la percu sourde. Celle-ci se retrouve parfois seule avec la voix et une guitare qui joue l’unisson dans un esprit de cérémonie funèbre, totalement débarrassée de toute fioriture.

On change un peu de ton avec Oh Wind qui semble introduire un peu plus de lumière, notamment grâce à l’apparition du dulcimer qui nous replace dans un univers mélodique plus folk.
La guitare downtunée revient dans Kuoleman lautturin tytär, nouvel air plein de mélancolie dont il faut traduire le titre par « La mort de la fille du batelier ». La sonorité du finnois apporte un exotisme et une authenticité particulière à ce titre.  Sur le suivant, Ydinaukio, la tension se déchaîne et la voix devient plus agressive que partout ailleurs en éructant de plus belle, ce qui rend l'ensemble pour le moins dérangeant. On notera un registre plus proche du metal dans l’ambiance et dans la construction du morceau, ce qui s’explique entre autres par le fait qu’il s’agit d’une reprise d’un morceau de Circle, issu de l’album Forest (2004).

Back to Etcetera et You Come From Far suivent, avec un break ternaire intéressant dans la première et le retour à un passage choral à la fin de la deuxième, où la voix semble étrangement plus lumineuse et claire que tout le long de l'album.
Enfin, le morceau titre There's a Passage clôt l'album, sans vraiment plus s'éloigner de l'esthétique globale, chanson lente et lancinante et brumeuse qui traîne derrière elle le spectre de ses prédécesseurs jusqu'à s'éteindre sur un dernier arpège de guitare.

Verdict : Entre indigence et génie ?

L'intérêt de There's a Passage m'a frappé pour ce qu'il donne à voir de typiquement contemporain, loin de la prétention habituelle de la musique et de l'art en général à avoir l'air universel. Pour citer le label Ektro Records dans la présentation de l'album : "Malgré sa vision intransigeante et austère de la musique, il demeure une nuance d'incertitude et de vulnérabilité dans sa voix – peut-être est-ce précisément cette ambivalence qui rend sa musique accessible et remarquablement juste".
Sans parler du texte qui, pour aussi simple qu'il soit, touche parfois juste. La litanie "I'm going back to etcetera..." dans la huitième titre par exemple, c'est comme si l'idée de faire sens était devenue elle-même éreintante et caduque : la phrase commence comme quelque chose de vu et de revu mais se conclut par l'échec de pouvoir dire plus que ce qui a déjà été dit. Elle suggère de même une relation totalement biaisée au temps : revenir à ce qui doit suivre, revenir à l'avenir, comme si passé et avenir se mélangeaient allégrement et qu'aucun mouvement de continuité n'était possible pour tenter de fixer le présent.

Certes le côté minimaliste et plutôt cheap, ainsi que la voix imparfaite de Westerlund qui ne semble pas très pote avec la justesse, ont de quoi réfréner l'envie de s'engager plus avant dans l'expérience de ce "dark blues" nordique.
Cette voix éraillée, rugueuse, sale et nasillarde, qui sonne faux comme celle d'une rockstar décrépite et usée par la scène, le sexe et le crack, n'est-ce pas cependant ce qu'il reste de pureté dans un monde où l'esthétique est devenue design, et l'art publicité ? N'est-ce pas le vrai visage de notre humanité veule qui s'extasie devant des simulacres qu'elle n'a même plus la force de relier à un sens ? N'est-ce pas la litanie de ce qu'il reste du sage au commencement de ce XXIe siècle : un vieil enfant aussi capricieux qu'aigri qui ne trouve plus de loisir dans les innombrables distractions qu'il s'est créées ?

Nerval évoquait à plusieurs moments dans son oeuvre au sujet de la musique un idéal de sincérité et de simplicité, s'émerveillant des voix pures – et peut-être épurées ? – des jeunes filles de la campagne "pas encore gâtées par le conservatoire". A travers cet album, on découvre le rejet même de la forme, de la justesse, de la technicité. Pas de manière prétentieuse en prétendant "plonger au fond du gouffre pour trouver du nouveau", mais tel quel, sans aucune velléité "artistique", ce qui précisément suggère l'ampleur de la crise : faire de l'art n'a plus de sens, c'est devenu une distraction vaine.

Que penser de la chanson titre ? Une sorte d'ode toujours lancinante et sourde qui suggère une sorte d'issue, mais se réduit bien vite à l'état cyclique que reflète la musique : "il y a un passage, je vois un passage", mais vais-je seulement faire le geste de l'emprunter ? vais-je seulement en avoir la force et la conviction ? Ne suis-je pas déjà paralysé par ma propre indolence et mes propres jouets que je méprise ? Après le So Messed Up d'ouverture qui était doté d'une certaine solennité, érigé qu'il était comme un appel au secours, la résolution n'apporte guère de remède. Pas plus que de réponse ou de répit.

Au contraire, on a plutôt le sentiment d'un éternel recommencement, qui pourrait presque nous pousser à faire boucler l'album encore et encore. Peut-être peut-on discuter la valeur proprement artistique de cet album, mais en tout cas, on y décèle la matérialisation de cet "éternel retour du même" dont parlait Nietzsche qui, pour qui cherche l'apaisement, n'est rien d'autre qu'un intemporel enfer.

Tracklist de There's a Passage :

01. So Messed Up
02. Sick Child
03. Run No More
04. Days of Love
05. Oh Wind 
06. Kuoleman lautturin tytär
07. Ydinaukio
08. Back to Etcetera
09. You Come From Far
10. There's a Passage

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