C H R O N I Q U E

Que de chemin parcouru pour le groupe polonais Lux Occulta. Vingt ans de carrière cette année, et quelle carrière ! Du Black médiéval au Black plus traditionnel en passant par de l’indus’ pour finir aujourd’hui sur de l’extrême avant-garde, il fallait le faire ! Avec un franc succès à chaque nouvel opus du groupe. Evidemment, ça ne plaît pas forcément aux plus classiques des critiques, ceux qui n’aiment pas les basculements et tournoiements en tous genres. Mais pour les autres, comme moi, c’est du pain béni. Alors fêtons ensemble ces vingt ans en beauté !

Le nouveau bébé se nomme Kolysanki, et œuvre dans ce qu’on appelle de « l’extrême avant-garde » ; autrement dit, beaucoup d’expérimentations mélodiques et instrumentales. Des inspirations stylistiques très hétéroclites : du free jazz, du Black, de l’électro-indus, du folk, du classique, bref un melting-pot incroyable et assez fascinant. Les chants eux-mêmes produisent cet effet « mix » si particulier : masculins, féminins, polonais, français, graves, gutturaux, clairs, folkloriques et Metal, vous avez là un panel non exhaustif des capacités de Lux Occulta. Le tout, pour un rendu des plus magistral. Un contrôle total des influences, des mélodies qui vous arrachent le crâne, perturbent votre esprit malingre et sèment la graine de la peur au fin fond de votre subconscient inoffensif. Mayhem et Marduk pensent faire flipper les foules ? Non, ce qu’ils font c’est du Metal "extrémiste" pour ados à la poursuite d'un avatar de "diable" à cheveux longs et pitoyablement déguisé. Lux Occulta, dans un registre totalement différent, vous emmène dans les méandres des sensations d’inquiétude et de folie douce, écoutez Samuel Wraca Do Domu pour vous en convaincre : ambiance jazzy flippante, chants polonais dérangés, puis lancement de riffs indus efficaces, accompagnés d’une trompette endiablée et angoissante.

Vous pensez alors qu’on a atteint l’extrême musical, mais non, vous n’êtes qu’à la troisième piste de l’album. La suite vous prouvera que Lux Occulta sait aussi jouer dans des registres plus mélodiques et moins inquiétants, interludes psychés à la Sen Jest Lżejszy Od Powietrza, relents d’Electro Goth sur Karawanem Fiat. Mais l'album n'est jamais complétement noir ou complétement blanc, il se réalise toujours dans un mix complexe des deux, avec efficacité et simplicité. Puis viennent les rassurantes Bieluń I Chryzantemy et Bądź Miłościw, chants traditionnels chantés par des vielles polonaises, ou voix féminine qu’on imagine être d’une nonne orthodoxe, qui viennent clôturer l'amorce fantaisiste entamée beaucoup plus tôt par Dymy.

Kolysanki pourrait -à n'en pas douter- être la bande originale du magnifique film Ida de Pawel Pawlikowski. C’est une poésie qui fait hommage à la vie, une ode avant-gardiste à la fois mélancolique, misérabiliste, mais aussi pleine de joie et de bouleversements émotionnels. J’ai rarement entendu une œuvre aussi sincère, brute, accessible et en même temps très complexe. Il faut un nombre d’écoutes assez conséquent pour apprécier l’album à sa juste valeur.

Il faut dire aussi que cet opus m’a personnellement beaucoup touché, d’une justesse et conscience musicale incroyable, affectueuse et triste, calme et sombre, entraînante et saccadée. Bref, une œuvre inclassable, marquante, une expérience unique, que je recommande à tous les esprits prêts à se laisser porter par des mélodies qui dérangent, s’éparpillent dans des lignes de fuites imaginaires infinies et planant autour de votre esprit sombrement tourmenté. Une image mentale des plus inquiétante viendra ensuite vous hanter pour longtemps, celle de cette femme aux cheveux longs portant ces deux petites filles aux visages boursouflés, les corbeaux en toile de fond, comme un présage de mauvais augure...

Tracklist de Kolysanki :

01. Dymy
02. Samuel Wraca Do Domu
03. Mieczów Siedem
04. Serca Tu Mają Tylko Dzwony
05. Sen Jest Lżejszy Od Powietrza
06. Karawanem Fiat
07. Bieluń I Chryzantemy
08. Bądź Miłościw

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