Pour leur second album, les No One semblent avoir compris où résidait leur force. Huit titres chantés en français (et un de plus avec un texte récité en français) contre seulement trois sur le premier album. Oui, chez No One, les textes sont importants, il aurait été dommage de continuer à utiliser l’anglais quand on a autant de messages à faire passer. De plus, pour cet album, le groupe a fait appel à l’auteur Maurice G. Dantec pour les paroles de plusieurs morceaux : Nomenklatura, Radio 101, Autobähn Babies et Ce Que Nous Savons. Quant au texte du dernier titre, Neuromatrix, il s’agit carrément d’un extrait de son roman, Les Racines Du Mal, que l’auteur lui-même déclame (tout comme les parties narrées des titres cités). Une collaboration que le groupe a regrettée par la suite. Car s’il avait su par avance que l’auteur tournerait facho dans les dernières années de sa vie, il ne l’aurait certainement pas invité. Connaissant les valeurs de Kemar, ça a dû lui faire mal de découvrir ça. No One avait d’ailleurs publié un communiqué à la suite de ses déclarations tapageuses dans le journal d’extrême droite Minute, par lequel il disait se désolidariser totalement de l’auteur. Fin de la parenthèse et revenons à nos moutons.
Et on entre directement dans le vif du sujet avec un « black » hurlé par Kemar et qui donne le ton de l’ambiance générale de l’album. Oui, bien que le disque s’intitule Utopia, c’est bien un constat assez sombre qui est dépeint ici. Black Garden ouvre de façon brutale ce disque et fait évidemment penser à du Rage Against The Machine, une des principales influences du groupe. Mais cet album va justement marquer sa différence par rapport à cette influence, très présente sur le premier essai, et les Français vont nous y dévoiler d’autres influences et une approche nettement plus personnelle. On continue dans l’énergie avec Invisible, le second morceau, où la rythmique du duo Jérôme Suzat-Plessy (basse) - Thierry Molinier (batterie) tabasse bien et le riff de la guitare de David de Four tourne en boucle, accompagné de samples. On s’éloigne déjà du style RATM. Chile, premier morceau de ce disque chanté en langue française (mais aussi en espagnol) montre que No One est un groupe engagé, dont les textes sont au moins aussi importants que la musique. Un titre qui fait partie des préférés des fans et qui est toujours joué par le groupe sur scène, tout comme le suivant, Nomenklatura, qui lorgne lui carrément vers l’indus. On pense ici à Ministry. Titre surprenant mais excellent, où là encore le texte à son importance. L’ambiance change encore sur Radio 101, avec ses couplets très calmes et son refrain plus hargneux. Le Poison, calme aussi dans sa globalité avec un Kemar tout en retenue, accompagne parfaitement ses lyrics désabusés. Retour sur des influences indus avec Women. Suit le bien heavy Amère et son texte sur la colonisation, avec un petit hommage au chanteur belge Arno quand Kemar reprend ses paroles sur le refrain "putain putain, c’est vachement bien, on est quand même tous des Européens !". Avec Autobähn Babies, on retourne dans une ambiance plus feutrée mais l’on sent que la colère est sous-jacente, l’explosion n’est pas loin. Explosion nucléaire puisque le texte traite de ce sujet. Et ça explose juste après, sur l’énervé 2 People où Kemar lâche toute sa rage. Enervés aussi sont les titres suivants, Ce Que Nous Savons et Inside. Pinecrest Solution est mené par un riff bien lourd, la voix de Kemar est trafiquée, on est encore proche d’une ambiance indus. Et enfin, Neuromatrix, aux consonances indus là aussi puisqu’en dehors de l’accompagnement basse / batterie, on a un assemblage de sons divers (bruitages, guitare, etc…). Le tout accompagnant le texte de Dantec, conclusion froide d’un album visionnaire sur l’état du monde et de la société puisque, depuis qu’il a été écrit, rien n’a vraiment changé. "Voici l’Homme. Le destructeur des mondes est arrivé…"
Alors peut-être qu’on n’a pas ici un morceau aussi populaire que La Peau qui a rencontré un beau succès à sa sortie mais on a un ensemble de titres homogènes en qualité, ce qui n’était pas le cas sur le premier album. Musicalement, on peut dire que le groupe a durci son propos, le tout sonne nettement plus metal que sur le premier opus.
Pas de single aussi fort que La Peau sur ce Utopia et donc la sanction ne s’est pas faite attendre : peu ou pas de passages dans les gros médias et les ventes furent (forcément) décevantes. Néanmoins, même si le succès populaire est moindre (le succès populaire n'étant, de toute façon, pas forcément un gage de qualité), cet album se révèle bien meilleur que le premier, plus puissant, plus varié, plus inspiré, mieux écrit. Sans doute le meilleur album du groupe à ce jour.
Tracklist de Utopia :
01. Black Garden 02. Invisible 03. Chile 04. Nomenklatura 05. Radio 101 06. Le Poison 07. Women 08. Amère 09. Autobähn Babies 10. 2 People 11. Ce Que Nous Savons 12. Inside 13. Pinecrest Solution 14. Neuromatrix
|