Difficile de survivre au succès d’un premier album ? Il arrive que certains groupes ne s’en remettent effectivement jamais. Ce n’est pas le cas de Pearl Jam.
Le second album des cinq gars de Seattle, qui sort deux ans après leur excellent premier album, Ten, ne pouvait pourtant pas être plus différent du premier jet. Et si tout le monde attendait de Pearl Jam un disque dans la continuité, tout à fait consensuel, il n’en fut rien.

Tout d'abord, le son du groupe a évolué. Très propre sur Ten, il est ici plus cru, plus méchant. On s'en rend compte dès le premier morceau, Go. Les guitares sont plus rêches. C’est plus brut de décoffrage. Pearl Jam montre un penchant bien agressif sur ce premier titre, qu’on ne soupçonnait pas trop à l’écoute du premier album.
Il faut dire que niveau musical, Pearl Jam pioche dans de très nombreuses influences, on le savait. Là, ils se sont laissés guider par leur feeling en puisant à droite et à gauche, allant du Punk (le très agressif Blood) à des choses plus pop rock rappelant par exemple R.E.M. (le très groovy W.M.A., Glorified G). Le résultat de tout cela est un album riche en variations.
Selon les membres du groupe, la plupart des titres ont été développés lors de jam sessions en studio. Et c'est vrai que ça se sent parfois (Blood).
Mais Pearl Jam n’oublie pas non plus la mélodie et l’émotion. Rearviewmirror est peut-être le morceau qui rappelle le plus le premier album du groupe. Il a été composé par Eddie Vedder. Pour la petite histoire, on entend à la fin du morceau la baguette du nouveau batteur, Dave Abruzzese, qui va rebondir sur le mur du studio et finir sa course par terre. Il l'aurait jeté de rage après le producteur de l'album, Brendan O’ Brien, qui lui aurait collé une méga pression avant l'enregistrement dudit morceau.
Pour la séquence émotion, l'album comporte aussi des titres très calmes. A commencer par Elderly Woman Behind The Counter In A Small Town, titre étonnamment long qui contraste avec les titres du premier album et les autres titres de celui-ci, tous formés d’un mot ou deux maximum. Il s’agit d’une ballade folk toute simple mais particulièrement émouvante, grâce à la voix de Vedder. Daughter et Indifference sont deux autres ballades que Vedder magnifie de sa voix.

Autre différence, d’ordre textuelle cette fois-ci : les paroles de l'album sont bien plus politiques que sur le premier album. Ce disque devait s'appeler Five Against One ("Five", symbolisant les cinq musiciens de Pearl Jam contre la société de consommation, incarnée par "One"). Le titre de l'album ayant été décidé très tard, il n'apparaît pas sur la pochette. Les premiers acheteurs (dont je fis partie) ne surent d'ailleurs pas vraiment comment se nommait cet album. On a d'abord cru à un album éponyme. Et pour induire tout le monde en erreur, la jaquette intérieur comportait une photo qui titrait "Against One" imprimé sur une main (avec les cinq doigts pour "Five"). Alors, Pearl Jam ? Five Against One ? Mais c'est finalement Vs (pour "Versus") qui sera choisi, "contre" symbolisant mieux les différents thèmes de l'album : le racisme sur W.M.A., les armes à feu sur Glorified G, les agressions faites aux enfants sur Daughter, la puissance des médias sur Blood, etc...

Numéro un du billboard à sa sortie, Vs reste aujourd’hui l’album le plus teigneux de Pearl Jam.
Les Américains montrent dès ce second album qu’ils ne s’imposent aucune limite et font ce qui leur semble bon. Ils le démontreront avec les albums suivants, encore différents des deux premiers. Voilà l’exemple d’un groupe qui suit son instinct artistique et pas les diktats du marché du disque et qui, malgré tout, connaît le succès. Comme quoi, ce n’est pas incompatible.

Tracklist de Vs :

01. Go
02. Animal
03. Daughter
04. Glorified G
05. Dissident
06. W.M.A.
07. Blood
08. Rearviewmirror
09. Rats
10. Elderly Woman Behind The Counter In A Small Town
11. Leash
12. Indifference