Artiste/Groupe:

Tool

CD:

Fear Inoculum

Date de sortie:

Août 2019

Label:

Volcano Entertainment, RCA Records

Style:

Metal Progressif

Chroniqueur:

JimBou

Note:

20/20

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Tool - Fear Inoculum ou l'introspection contre la peur...

 

4800. C'est approximativement le nombre de jours qui sépare 10,000 Days de Fear Inoculum. Treize ans c'est long, mais cela aura l'avantage de rassurer les plus pessimistes qui se voyaient attendre les vingt-sept ans que constituent dix-mille jours ; façon à eux d'amuser une galerie d'affamés et d'imager un couloir sans fond, ni porte. Treize ans c'est suffisamment long, en tout cas, pour susciter un engouement démesuré et d'autant plus lorsque le groupe en question fait la fine bouche en filtrant informations et révélations en tout genre au compte-gouttes. La date de sortie, annoncée seulement trois mois avant le jour J, avait éteint une grande partie du feu qui animait l'impatience des fans et la révélation du titre de l'album ainsi que de la couverture (que l'on doit à l'excellent Alex Grey, comme sur les deux précédents albums), suivis de peu par la publication d'une première piste, avaient fini de ravir la flamme dans leurs yeux. Et au bout du compte, c'est d'une unique édition physique, qui dépossédera les plus matérialistes de la modique somme de 80 euros, que Tool a gentiment gratifié l'avidité de ces convertis. Chose assez peu étonnante, compte tenu du caractère atypique du groupe en terme de communication et d'image. Mais cela ne les aura pas empêchés pour autant d'écraser une partie de la concurrence en occupant, notamment, la première place du Billboard 200 aux Etats-Unis, au détriment de Taylor Swift qui s'est fait chiper sa place de numéro 1 en beauté et, accessoirement, au grand désarroi de ses fans. 

Le contenu global du "Fear" quant à lui, fidèle à ce que l'on avait pu voir sur tous les précédents albums de Tool, dépasse aisément l'heure de plaisir. "Aisément" pour ne pas dire "largement", car avec ses quatre-vingt-six minutes et son allure de double album, Fear Inoculum devient l'oeuvre la plus longue de leur discographie, avec ou sans les pistes imputées à l'édition physique ou dite deluxe. Rien de surprenant car, pour ceux qui avaient suivi l'actualité de près, chacune des pistes majeures avait été annoncée comme dépassant les dix minutes (à l'exception de Chocolate Chip-Trip finalement). Il y aura donc beaucoup de contenu à se mettre sous dent, à mâcher, à mastiquer, encore et encore, puis à avaler et espérons-le, à ne jamais digérer complètement. 

Pour ceux qui s'étaient déjà mis à table en tout cas, Descending et Invincible n'avaient nulle saveur inconnue car leur courbes paradaient déjà fièrement depuis quelques années dans la setlist du groupe lors de leurs représentations live, sous forme plus ou moins "incomplète". Fear Inoculum, la piste-titre, fut cependant la première version studio à inonder la toile en guise d'unique single. Les choses sérieuses commençaient alors, car cette monnaie d'une pièce vieille de treize ans avait tous les aspects d'un bon retour sur investissement. Une introduction stridente, puis quelques percussions envoûtantes plus tard et un monde s'ouvrait à nous, alors que Maynard James Keenan nous narguait dès les premiers instants d'un "long overdue", comme pour assumer ou s'excuser d'un "long retard". Faute à moitié avouée pardonnée, comme le dirait l'envers du proverbe. Mais dans un torrent qui s'annonçait grandiose, au gré des fracas sans pareils de la basse d'un Justin Chancellor bel et bien de retour, point le temps de tergiverser. La construction du morceau se montre subtile, entraînante et haletante, à la limite d'un poussif qui rime avec jouissif. Et tandis que les sonorités d'Adam Jones à la guitare se veulent de plus en plus oppressantes, une épée de Damoclès se place discrètement au-dessus des auditeurs, les entraînant peu à peu dans une spirale aussi explosive qu'imprévisible. Les riffs qui s'enchaînent et se font de plus en plus variés, posent une à une les couches d'un tableau subtilement garni, là où l'habillage vocal toujours aussi propre et maîtrisé de MJK finira de rendre la chose sublime . Et alors que l'incroyable final pressenti se rapproche, au moment où Danny Carey déballe ses plus fiers arguments aux moyens de doubles pédales sismiques, les airs insoupçonnés d'un Meshuggah rugissent comme un lion dans un fracas aussi syncopé que contre-intuitif. Tool est de retour, dans sa musique et dans son concept. Car pour ceux qui n'auraient que partiellement déchiffré le codex du groupe : Tool n'a point de formes dans le fond et point de fond dans la forme.

L'inoculation (Inoculum), au sens propre du terme, traduit le fait d'introduire volontairement tel ou untel agent pathogène dans un corps pour l'aider à mieux le combattre par la suite. Dans le cas de la peur (Fear), elle s'apparenterait à franchir les frontières de l'appréhension pour mieux l'affronter. Et dans le cas de Tool (Fear Inoculum), elle se caractériserait à travers le temps comme la source indélébile d'un état de grâce contrôlé, parfait en tout point. Treize ans donc, pour savourer ce qui s'approcherait pour le mieux, aux yeux du groupe, d'un album arrivé à maturation, bravé et brassé au-delà de la peur de décevoir, faute d'un parcours jusque-là parfaitement acclamé. Le seul et unique single désigné, symbole de retour ou de renaissance était dès lors tout tracé et indicatif : Fear Inoculum

Mais comme dans un livre ouvert dont la transcription complexe résulterait d'autant d'interprétations personnelles que d'avis différents, Pneuma viendra révéler une lumière d'un autre genre. Plus question de peur cette fois-ci mais d'introspection spirituelle, comme pour tremper les pieds aux abords d'un lac abyssal avec comme seul guide, pour s'enfoncer, les doux heurts d'une rythmique tribale. Le schéma d'assemblage musical observé sur la piste Fear Inoculum se répétera, laissant apparaître une toute nouvelle construction, longue, complexe et sans gâchis d'énergie dont le point culminant, en toute fin de morceau, résultera d'une alchimie parfaite entre chacun des musiciens impliqués. Et si cette mécanique d'éclosion s'avérera être la constante la plus saisissante de l'album, elle s'illustrera à chaque fois sous un nouveau jour, piste après piste, donnant à l'œuvre entière les attraits d'un panier de fruits mûrs à point. 

Ainsi vint l'heure de la cueillette pour une Invincible enfin prête à se révéler sous sa forme finale, brisant les attentes et les interrogations des chanceux ou des curieux qui s'étaient délectés de la version live, directement ou indirectement. Aucune surprise finalement, si ce n'est le simple plaisir de jouir d'une emprunte musicale indélébile aux travers des qualités exceptionnelles d'enregistrement que l'on accorde avec insistance au groupe depuis plusieurs réalisations, avec une nouvelle fois la présence de Joe Barresi, producteur et ingénieur son de renommée. Côté structure, tout y est pour ainsi dire à sa place : de l'arpège en palm-mute si caractéristique d'Adam Jones aux tonalités si subtiles de Danny Carrey, l'homme aux baguettes, en passant par le flair indiscutable du grand Justin Chancellor qui, derrière sa basse, seconde aussi souvent la guitare qu'il ne la précède. L'exquis "Long in Tooth and Soul", qui intronise Maynard James Keenan dans son exercice vocal, aura pour effet de réveiller un titan endormi depuis bien des années, avant de le précipiter dans un élan aussi infatigable qu'inarrêtable. Sa marche, guidée par les trois instrumentalistes, résonnera comme un tambour de guerre ; le fracas de ses pas grondera au gré de leurs variations séquentielles ; son regard se posera sur chacun de ses admirateurs pour leur souffler à l'oreille, par le biais du parolier en chef, la notion de son invincibilité en tant que guerrier déterminé. Un cocktail distillé à la perfection aux airs si proches de 10,000 Days, dont le point d'orgue sonnera sur le coup des huit minutes, libérant les doigts de Dany Carrey de ses baguettes au profit des touches d'un synthétiseur pour le moins hypnotisant. Et tandis que guitariste et bassiste rentraient dans une danse millimétrée, MJK chantait une première fois le refrain, dit de Ponce de Leon (conquistador évoqué au cours de celui-ci), d'une voix synthétique avant de le répéter plus d'une minute plus tard, à l'état brut cette fois-ci, dans un tourbillon à quatre, signant l'arrêt d'un morceau de douze minutes plus que bien remplies.

Passé ce cap de la troisième piste majeure et en marge des versions de l'album disponibles sur le marché quelques mois après la sortie de cet opus, qu'elles soient physiques ou digitales, peu de chances d'échapper aux trois pistes bonus que sont Litanie Contre La Peur, Legion Inoculant et Mockingbeat. Si les deux premières apparaissent comme une introduction à quelque chose de plus concret, la dernière aura le privilège de clôturer l'album, succédant à la grandiose 7empest. Une touche que pourront apprécier les adorateurs de Lateralus et Aenima, notamment, qui regorgent de pistes semblables et qui auront largement contribué à la légende et à l'univers si singulier de Tool. Chacune d'entre elles aura pour but, certainement, de donner à la fois du relief et de la profondeur à l'oeuvre inhabituellement trop directe que serait Fear Inoculum sans leur présence. Legion Inoculant en tout cas, ira dans le sens de l'immersion que s'apprête à délivrer Descending au moyen de voix secrètes et de résonances assourdissantes. La suite des événements quant à elle, comme l'indiquent les premiers instants du morceau, reposera entre les mains de Chancellor en tant qu'initiateur et protagoniste, à travers une basse profonde et criante de vérité. La vérité d'un monde stagnant, aussi reflété par un Maynard à fleur de peau, où les horizons lointains d'un monde silencieux seraient prêts à s'éveiller sitôt que la philosophie de son peuple eut été apte à se révéler. Le squelette de Descending regorgera d'inventivités subtiles et s'avérera être l'un des plus riches de l'album, puisant sa force au delà des sentiers battus, là où Adam Jones prendra un malin plaisir à polir l'idôle de tout un monde dans un final dantesque. Son intervention d'abord en demi-teinte, finira par prendre le relais sur un Chancellor presque trop ému et s'envolera vers ce qui pourrait être la plus belle finition du Fear Inoculum dans un exercice de solo à mi-chemin entre un standard de Blues et le ronronnement d'un moteur de Formule 1. L'idée est grandiose, innovatrice, unique. Rien n'annonçait, en tout cas, le décor à contre-courant qu'allait planter Culling Voices dans cet amas presque trop parfait de syncopes et d'émotions. Un décor qui se révélera lentement, calmement, peut être même un peu trop... Un crève-cœur pour ceux qui n'auront pas la patience de braver les nombreuses écoutes que celle-ci nécessitera, afin d'insuffler en eux la richesse de son paysage sonore. Car le terme d'ampleur n'aura jamais eu autant de sens que sur cette piste d'où la (très) longue introduction découlera une conclusion à la hauteur de ses pairs.

Pour les plus gourmands, l'heure de la fantaisie sonnera finalement sur les coups de 16h, à l'heure du goûter, avec un gâteau au chocolat nommé Chocolate Chip-Trip monté et servi par Danny Carey en personne. Les ingrédients, à base d'éléments électroniques difficilement descriptibles, surplombés eux-mêmes par le génie exécutif du batteur, auront vite fait d'ébahir ou de captiver n'importe quel badaud. Mais du haut de cette distraction excentrique, planait en réalité l'ombre d'une tempête sans pareil. Une tempête baptisée 7empest qui, dans le quart d'heure qui allait suivre, s'apprêtait à répandre autant de joie que de fracas. L'étalage propre à Fear Inoculum qui était jusqu'ici basé sur l'éclosion en fin de morceau, comme évoqué précédemment, se préparait à vivre un bouleversement, tant rien ne laissait présager l'explosion si précoce que dissimulait cet arpège d'introduction si féerique. Sitôt consommée, la petite bourrasque cédait donc sa place à la folie furieuse d'une tonalité extraordinaire, orchestrée par un Adam Jones plus que jamais transcendé. L'élan perpétré emportera tout sur son passage, allant jusqu'à briser la discipline d'un MJK d'ordinaire paré à toute épreuve et qui se voyait déjà contraint d'appeler au calme au gré de grinçants "Keep calm, keep it calm". Mais le mal (ou le bien) était déjà fait et l'occasion de rentrer dans la danse était trop belle car, tandis que le sol se déchirait sous ses pieds, un "Here we go again" s'extirpait résolument de la bouche de ce dernier. Et tel un molosse enchaîné, dont la hargne et la rage venait à bout de ses entraves, Adam Jones prenait le large dans un tourbillon de riffs inquantifiables, accompagné de ses acolytes de toujours, dans ce qui pourrait être la plus belle œuvre de sa carrière musicale. Une œuvre dans la continuité du génie de 10,000 Days, plus incisive que Jambi et plus poussive que Rosetta Stoned, avec un sens de la répartition et de la mesure proches des hautes sphères de Lateralus. Car dans l'œil de la tempête, au plus profond de l'intensité du monstre déjà sacré, Adam Jones livrera un solo (ou une envolée) de quatre minutes, composé de vingt-et-une sections, soit trois sets de sept sections, révélant ainsi la forme et l'origine de la 7empest. "A tempest must be just that", comme l'a si bien martelé MJK. Et un grand album doit être comme cela, par extension. Et il l'est.

Alors, l'attente en valait-elle la peine ? Pour répondre à la question si commune qui a fait gesticuler toutes les langues intéressées, il faudra d'abord se placer du point du vue du groupe : oui. Car même si d'après les dires de MJK l'album était déjà exceptionnel il y a huit ans, il n'avait alors pas la maturité nécessaire pour succéder à 10,000 Days et ne cochait pas toutes les cases que le groupe ciblait en son âme et conscience. D'un point de vue extérieur en revanche, et comme le veut la coutume , les goûts et les couleurs couperont la poire en deux. Mais il sera difficile de nier les qualités de l'oeuvre nettement au-dessus du lot en terme de production, d'exécution, de créativité, d'inventivité et d'intention. Fear Inoculum aura en tout cas relevé le pari de se placer aux côtés de ses prédécesseurs sans avoir à lever les yeux pour les toiser. Son contenu très hétérogène et gorgé d'émotions aura en tout cas délivré beaucoup de caractère sans pour autant révéler de vrais points faibles : une qualité rare. Entre spectateur et adorateur il n'y aura donc qu'un pas. Un pas symbolisé par toute l'étendue de la frontière qui sépare l'appréhension de la compréhension. En attendant le prochain rendez-vous avec Tool, qu'il soit dans cette vie ou dans une autre, nous retiendrons de Fear Inoculum qu'il fut mystique en coup d'œil, éthérique en survol, astral dans sa conception et fondamentalement transcendant dans son expression.

 

Tracklist de Fear Inoculum : 

01. Fear Inoculum
02. Pneuma
03. Litanie Contre La Peur
04. Invincible
05. Legion Inoculant
06. Descending
07. Culling Voices
08. Chocolate Chip Trip
09. 7empest
10. Mockingbeat

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