Groupe:

Lofofora - Klone

Date:

05 Octobre 2018

Interviewer:

JeanMichHell

Interview Reuno et Guillaume

Bonjour, Reuno. Merci de m'accueillir au titre des Portes du Metal. Vous proposez un album acoustique, un album qui a surpris du monde, en particulier le public classique de Lofofora. Quelle a été votre motivation ?

Bonjour, c'est déjà une bonne motivation de surprendre notre public habituel. Dans l'histoire de Lofofora, on a souvent été à l'opposé de l'étiquette qu’on voulait nous coller : quand on envoyait un peu de funky fusion sur le premier album, on a fait un album plus hardcore par la suite. Quand on nous a vus un peu plus sérieux, comme un groupe plus sombre et chiant, on a fait "Les Choses Qui Nous Dérangent", des albums plus rock, plus punk, on a toujours essayé de brouiller les pistes. Et lorsque l’on a été sur une tendance metal, et même si les puristes estiment qu’on ne fait pas vraiment du metal - nous non plus, d'ailleurs - on a fait des reprises de chansons françaises. On reste malgré tout avec notre identité, notre univers, on a toujours essayé de dérouter, finalement. En tout cas, ce qui est sûr c'est qu'on a jamais essayé d'être ergonomique (Rires).

C'est amusant que tu utilises le terme d'univers parce que pour moi qui connais bien votre carrière, essayer de définir ce qu’est Lofofora, c'est compliqué...

Quand je dis univers, c'est un terme peut-être un peu galvaudé, c'est plutôt ce qu'on représente ensemble quand on fait de la musique. Que ce soit Phil, Daniel ou moi, qui est aujourd'hui le noyau dur de Lofofora, on est tous différents, on a tous des caractères différents et c'est ce mélange qui fait l'entité Lofofora. Finalement, faire un album acoustique, c'est comme mettre du piment dans un couple, comme aller dans une boîte échangiste mais en moins risqué, quoi que !! (Rires) Pour un groupe comme nous, étiqueté metal, ce n’est pas forcément facile à faire accepter. Quand on a commencé à l'annoncer, on a commencé par dire que Kevin jouait avec nous. Ça a réagi tout de suite, en disant "Wahou ! ils vont jouer avec Kevin Foley, ça va déchirer ! Et le lendemain on a annoncé que l'on faisait un album acoustique. Et puis tu vois, on a toujours choisi d'aller enregistrer nos albums loin de nos lieux de vie, comme si on essayait de se couper de nos repères. Il te reste quoi derrière ? Tes gars, ta musique, et donc ça resserre les liens et te rassemble autour du sujet. Le fait de se transposer dans un autre monde musical, de tout débrancher et d'explorer des sonorités qu'on avait jamais explorées ensemble ; et quand je dis jamais exploré, c'est jamais ! Il se pourrait que Doudou (Daniel) fasse un groupe de folk, ou que Phil fasse du bluesgrass, mais ce n’est pas du tout le cas. Si tu enlèves le fait de gratouiller sur une guitare sèche, l’acoustique c’était l’étranger. Se mettre dans un autre décor, c'est aussi se recentrer sur qui tu es, c’est raconter l'histoire entre copains. Donc, c'est un peu ça l'histoire de l'acoustique, et puis on sent quelque part qu'on se met à nu.

Et ça ne fait pas peur de se mettre tout nu au début ?

Si, surtout que je n'étais pas du tout convaincu par cette idée ! Je n’écoute pas du tout de musique acoustique, souvent ça m'emmerde. J'écoute bien du Johnny Cash, j'ai un album de John Garcia en acoustique, mais tout ce qui est folk à la Neil Young, Joan Baez, Bob Dylan, ça m'emmerde profondément ; pour moi, c'est de la musique de curé. Il faut qu'il y ait une dimension animale dans la musique, a minima, voire même une dimension sexuelle sinon ça m'emmerde. Donc on est vraiment parti de zéro, c’était un choix risqué. A la base, j'ai dit aux copains : « Allez-y, composez, après je vous dirai si je peux faire des chansons avec ça ! ». J'écris toujours sur la musique. Je leur ai dit d'essayer, et au début je n’étais vraiment pas convaincu du tout. En plus, pour te donner le contexte, on venait de perdre deux amis en trois semaines, vraiment dans le cercle proche de Lofofora, et donc tu imagines bien que l’on n’avait pas trop le moral à ce moment-là. En plus, ç'a été vraiment hardcore, c'était totalement inattendu. Du coup, mes potes se sont mis à écrire de la musique triste, et moi ça ne m’a pas parlé pas du tout. Ça m'a envoyé vraiment dans un truc trop dark. J'écoutais les maquettes et, au bout d'un morceau et demi, j'arrêtais. Je n’avais pas envie d'aller là dans ma tête. Quand tu essayes d'être en adéquation avec la musique et un tant soit peu cohérent, tu vas chercher dans le fond de tes tripes. Quand c'est de la tristesse que ça t'évoque, tu te mets dans des états pas bien, il faut que tu y ailles pour aller chercher les mots ; et je n'avais pas du tout envie d'aller là-dedans à ce moment-là de ma vie.

Cela signifie que tu y es allé à reculons ?

Ah oui complètement. D'ailleurs, les premières compos sont parties à la poubelle. Moi, j'ai une façon un peu cash de m'exprimer, du coup ils ne l’ont pas forcément très bien pris. Je leur disais "Moi, la musique de hippie dépressif, non merci, tu me fais pas ça". Remarque, un an après, le plus vieil ami de Phil - car je ne suis pas le plus vieil ami de Phil - m'a fait le même retour : « Ils avaient composé de la musique pour se pendre ! » Ce n’était pas juste un sentiment personnel, on était dans un mauvais moment. On a mis un an entre le début de l'écriture et la fin de l'enregistrement, parce qu'on a tout arrêté pendant deux mois. Quand tu perds deux amis proches comme Sven de Parabellum, avec qui on a fait tellement de dates avec Mudweiser ou le Bal des Enragés, et puis Boon, notre régisseur pendant des années. En trois semaines, perdre des proches comme ça, c'est compliqué. Je te parle de ça maintenant parce que c'est vraiment dans cet état mental qu'on était au moment de l'écriture. Dans Lofo, il y a toujours une certaine énergie, un groove ; alors aller vers l'acoustique, moi, je voulais bien ; faire des trucs planants, ça m'aurait laissé le temps de développer des idées, d'être un peu moins dans le slogan, la punchline. (à ce moment-là Guillaume de Klone nous rejoint après avoir fini sa balance)

Guillaume, merci de nous avoir rejoint. La première question était pourquoi le choix de l'acoustique ?

Guillaume : Alors nous, on compose déjà en acoustique, sur une guitare folk ; du coup, c'est plus normal pour nous de revenir à la nature de la compo. Et puis on a eu une proposition pour aller faire la première partie d’Anneke Van Giersbergen, et comme c'est un projet qui était en gestation depuis un petit moment, cette proposition est devenue une deadline. Ça nous a remotivés pour aller au bout de la démarche. Après avoir fait pour la première fois un concert acoustique sous cette forme-là, déjà ça nous a rassurés parce que les gens ont kiffé, et puis ça me semblait cool de fonctionner comme ça. D’être sans batterie, avec très peu de choses et d’observer que l'émotion passe quand même. L'idée, c'était d'avoir une formation la plus épurée possible, pour mettre en avant les harmonies des guitares, la voix, avec juste une percussion qui amènerait exclusivement le pulse, pour permettre d'ouvrir et de laisser respirer le plus de choses possible.

Donc, si je résume : côté Lofo, vous vous êtes déshabillés, mis dans le plus simple appareil ; et côté Klone, vous êtes revenus à vos origines...

Guillaume : Tu te déshabilles mais tu t'habilles autrement, en fait. Moi, j'ai l'habitude de faire la guitare aux doigts depuis toujours, c'était un processus plutôt naturel. On est content du résultat, même si tu as d'autres sensations que dans un concert de rock : on n'a pas l'énergie du côté qui envoie, mais ce sont d'autres vibrations. Le premier soir où on est monté sur scène sous cette formation, on avait tous la tremblote. C'est vraiment un gros coup de pression parce que c'est flippant, tu entends tous les détails, la moindre petite connerie s'entend. Mais je pense que le fait de travailler comme ça, ça fait progresser (Reuno confirme), tu as une autre vision des choses, tu peux jouer sur différentes couleurs. Nous, on est un peu moins rock, un peu plus atmosphérique, planant ; mais du coup, en alliant ces deux côtés, ces deux facettes de la musique, ça fait progresser globalement.

Reuno : Nous, on s'est fait la même réflexion avec les potes il y a deux jours : ça nous semble évident que cette expérience va nous faire voir la composition autrement. Quand tu composes exclusivement en électrique, parfois il y a des trucs qui passent à l'as ; il y a même des fois où tu arrives en studio, et tu te rends compte de ce que le mec joue vraiment. Par contre, quand tu es en acoustique, même au stade de la maquette, voire même avec un enregistrement sur téléphone, tu entends tout. Je pense que ça te fait écouter et concevoir ta musique différemment.

Vous n'avez pas eu tout à fait la même démarche. Klone, ce sont des compositions qui passent à l'acoustique, tandis que Lofofora, vous avez créé des nouveaux morceaux. Quel est l'exercice le plus périlleux ?

Guillaume : Moi, je n’aime pas les groupes qui font ça, généralement, je me dis toujours que je préfère l'autre compo.

Reunon: Mais si à la base tu dis que tu composes en acoustique, ça doit déjà prendre un peu plus de sens. Nous, la plupart des morceaux, c'est impossible de les retranscrire en acoustique. C'est moche, ça ne ressemble à rien.

Guillaume : Notre registre est un peu différent, on a déjà à la base pas mal d'arpèges, il y a un lien naturel.

Quelles ont été les réactions du public ?

Reuno : Alors nous, les gens ont cru que c'était une blague (Rires). Il y a beaucoup de gens pour lesquels Lofofora et acoustique, ça ne va pas dans la même phrase. Et puis en France, avec l'acoustique on a certainement le syndrome Francis Cabrel, ou tu as l'impression que c'est forcément de la musique de hippie. Alors qu'à la base, moi, je suis plutôt un gros fan de blues : du John Lee Hooker, tu peux m'en servir matin, midi et soir ; Muddy Waters aussi, ça c'est vraiment ma came. C'est pas le même sentiment, le blues, ce n’est pas le spleen. Le blues, ça reste debout, ça n'a pas la tête entre les mains. Même si tu en chies, relève-toi, juste parce que tu es vivant. C'est un peu une philosophie de vie. Le côté poète maudit qui colle à l'acoustique a des répercussions, les gens ont dû croire qu'on était devenu des hippies. On a eu des réactions sur les réseaux sociaux, dut style "Vous êtes des vendus". Mais des vendus à qui, parce que j'attends toujours le chèque ! Au final, tu vends moins de disques, il y a moins de monde en live… Et c'est comme ça parce que tu as une disto et une double grosse caisse, que tu es un rebelle... Sur des festivals, tu rencontres des groupes, il y a de la provocation, ils portent des t-shirts dégueulasses, et au final ce sont des gros beaufs ! Alors que tu as des personnes qui font de la musique beaucoup plus traditionnelle et qui, eux, s'investissent. Par contre, la réaction des chroniqueurs a été incroyable : on était devenu un autre groupe, des lots de réactions dithyrambiques... (Je me mets à rire en expliquant que le groupe a partagé ma chronique sur leur Facebook, également dithyrambique, et nous finissons sur un éclat de rire général) Ce sont les programmateurs qui ont été les plus frileux : on a fait simplement deux festivals cet été. Aucun festival de metal ne voulait de nous parce qu'on faisait de l'acoustique, et aucun festival pas metal ne voulait de Lofofora parce qu'on a notre étiquette de groupe de graisseux.

Guillaume : C'est bizarre le positionnement en fait, les programmateurs n'osent pas franchir le cap. Mais nous, ça nous a apporté un autre public, un public familial, un public monsieur tout le monde, sans le plus beau t-shirt Metal. Et même si le petit jeune qui vient prendre sa pulse rock ne s'y retrouve pas forcément, ça nous a permis de nous faire découvrir à un autre public.

Et ça vous a permis de jouer dans des lieux plus atypiques, non ?

Guillaume : Ah complètement, on a pu jouer dans un temple protestant pas très loin d'ici, à Rochefort ; déjà, rien que ça c'était inattendu.

Reuno : Nous aussi on a voulu faire ça en Suisse, malheureusement ça ne s’est pas fait. On devait jouer sans aucune sonorisation, en acoustique complet ! J'aurais vraiment aimé le vivre.

Guillaume : Des lieux atypiques, mais aussi des médias que l'on n'avait pas l'habitude de toucher. On a fait un live chez Zégut, je ne sais pas s'il nous aurait forcément diffusé en version électrique, mais en version acoustique ça l'a fait. Et mine de rien, il y a plein de gens qui sont venus nous voir après cette session, ça fait du bien de sortir des médias habituels, de pas forcément rester dans la même case.

Ça veut dire que votre étiquette de base quoi qu'il arrive, elle vous colle aux basques ?

Reuno : Nous, on essaie de vous faire à la base pas forcément manufacturés, pas "étiquetable". Alors on comprend que quand on est chroniqueur on doit orienter le lecteur et donner des références, parce que parler de musique c'est pas évident, c'est de l'émotion. Mais après, les étiquettes sont lourdes à porter.

Et c'est quoi, la prochaine étape ? avec un orchestre symphonique ?

Reuno : Non, non quand même pas, on fera peut-être un album avec Shlaasss ! Un duo de Saint Etienne qui définit sa musique comme du trap punk. On les a rencontrés au cours d'un concert en Nouvelle-Calédonie, on a joué avec eux, c'est hyper provoc'. C'est devenu des super copains. Et eux ils veulent faire un album de reggae, on le fera peut-être avec eux. (Rires) Mais plus sérieusement, on discutait entre nous du prochain album. On a tellement gambergé pour celui-là, on va faire quelque chose de très instinctif, un truc où on ne va pas réfléchir. Un truc direct, plus punk, à la Minor Threat, à la Black Flag… (se retournant vers Guillaume) Et vous, vous faites quoi après ?

Guillaume : On vient de finir notre nouveau disque il y a trois jours, le dernier album remonte à 2015. Après, j'ai fait d'autres choses entre-temps, des choses plus pop ambiancée, peut-être un truc de hippie, on ne sait pas ! (Rires) Mais pour Klone, on vient de finir, il devrait voir le jour au printemps 2019. Et là non plus on n'a pas utilisé de distorsion, on a enregistré avec des guitares baryton et juste de la réverb. On est sur des rythmique très très lentes, on n'a jamais joué aussi lentement de notre vie. Ça ne ressemble pas à du Neurosis, mais dans l'idée il y a un peu de ça, l'idée d'un truc pesant. Et a priori c'est du rock progressif, c'est ce que nous ont dit les spécialistes, après une première séance d'écoute presse. On l'a évidemment fait exprès pour savoir comment on serait classifié. (Rires) Mais rock progressif ça me va bien, c'est ce que l'on mettra dans notre biographie qu'on donnera à la presse, comme ça on se la colle tout seul, notre étiquette. Au moins tu n’as pas de surprise, on évite le mec qui te sort des qualificatifs décalés. Et puis on va surtout pouvoir reprendre la guitare électrique, parce que les tabourets, c'est gentil cinq minutes, mais on a tous pris du bide ! (Rires) Non mais c'est vrai, tu ressors sans aucune goutte de sueur, tu grilles moins de calories.

Qu'est-ce qu'on peut vous souhaiter pour la suite ?

Guillaume : Bonne chance pour la suite !

Reuno : De se faire chier dans la vie le moins possible.

Musicalement ?

Reuno : Alors moi, j'ai jamais eu autant de projets. J'ai Mudweiser, même si on ne sait pas trop où l'on va. C'est un peu en stand-by. J'ai également été recruté par Les Tambours du Bronx, on a monté un show ensemble avec Steph Buriez, Franky Costanza et Renato de Flayed et de Trepalium. Quand j'étais branché pour ce truc-là, franchement, j'aurais dû dire non, parce que je n’avais pas le temps. Mais si je l'avais refusé, je m'en serais voulu toute ma vie ! C'est ultra couillu, surtout à côté de ce qu'on propose aujourd'hui avec Lofofora, je crois que je n'ai jamais fait un truc aussi bourrin. C'est du Ministry qui a croisé Nailbomb. J'ai aussi un autre groupe qui est beaucoup moins rock, c'est du rhythm and blues en français, ça s'appelle Madame Robert. L'album est sorti fin septembre et on enchaîne avec une tournée fin octobre, début novembre. C'est avec les anciens batteur et bassiste de Parabellum. En fait, après le départ de Schultz, je suis allé les voir et je leur ai dit "Allez les gars, on monte un groupe ensemble, ça va nous faire le plus grand bien". Et pour reprendre l'idée du poète maudit, en France ce qui me gonfle, ce sont tous les mecs qui font de la chanson française et qui se revendiquent de Brel ou de Ferré, que des mecs misogynes et misanthropes ! Pourtant j'adore Brel, mais je préfère encore plus l'œuvre de Dutronc et de Nino Ferrer. Je trouve d'ailleurs que l’œuvre de Nino Ferrer a été complètement éludée par Gaston ; on ne voit que le chanteur fantaisiste, alors que c'était un rocker dans l'âme, dans le sens du projet musical, avec des copains pour le faire. Et même Eddy Mitchell dans les années 60-70, j'aime bien son côté dandy franchouillard, un peu gouailleur, un peu fouteur de merde, certainement parce que je me reconnais assez bien là-dedans. (Rires) C'est pour ça que, pour Madame Robert, on avait envie d'écrire en français. On a aussi essayé de conserver l’état d'esprit de ces années-là sur la pochette. On a trouvé notre égérie : une nana qui fait du burlesque, ultra plantureuse ; nous, on la trouve magnifiquement belle, et elle est adorable. Elle fait partie du cabaret des filles de joie de Juliette Dragon. Et on voulait une fille sans tatouage, ce qui aujourd'hui est difficile à trouver ! Merci beaucoup de m'avoir accueilli, et bonne continuation à vous.

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