Arkan

Interview date

11 Novembre 2011

Interviewer

Didier et PhilippeC

I N T E R V I E W

Interview Sarah et Foued(en face à face)


Bonjour à vous, et merci d'accorder au webzine Aux Portes Du Metal cet entretien.

Foued et Sarah : Merci à vous

Tout d'abord, pouvez-vous nous éclairer sur les origines d'Arkan ?

Foued : Arkan est un groupe que j'ai fondé lorsque j'étais dans The Old Dead Tree et j'avais le sentiment que la scène metal ne représentait pas suffisamment le coté multi culturel que l'on a en France, pourtant il y a beaucoup de personnes d'origine maghrébine qui écoutent du metal. Orphaned Land qui est un groupe que l'on écoute depuis toujours, a ouvert la porte entre la musique orientale et le metal, donc j'ai voulu tester ça et j’ai réuni plusieurs personnes que j'avais autour de moi, puis nous avons créé une première démo "Burning Flesh". A l'issue de "Burning Flesh", nous avons inclus Sarah, qui est d’origine algérienne, parce que nous voulions développer encore plus le côté oriental de notre musique. Avec "Hilal", la transition s'est faite si naturellement que pour "Salam", nous avons laissé encore plus de place à Sarah.

Quels sont les centres d'intérêt des membres du groupe, les influences, les groupes écoutés ?

Foued : Moi je suis un vieux du metal je ne sais pas ce qu'il se fait aujourd’hui mais j'ai commencé avec Iron Maiden puis j'ai suivi une certaine hiérarchie pour finir par Burzum. Par moment, j'étais complètement barge (rires). J'ai participé en tant que batteur à beaucoup de groupes très extrêmes, j'ai essayé d’ouvrir mon champ à la musique la plus diverse possible, mais dans Arkan nous avons voulu nous cantonner à un style qui soit proche du Néo, une musique relativement moderne et malgré tout assez puissante avec des élans de death car le Death Metal à l'avantage d’être un style avec lequel on peut tout marier. Enfin cela n'a pas trop grand-chose à voir avec ce que j'écoutais hier soir, c'était du George Brassens (rires).

Sarah : Moi hier soir j'étais avec du Franck Sinatra dans mes oreilles. Au niveau de mes influences avant Arkan, je faisais partie d’un groupe de thrash, mais je suis un peu comme Foued, j’ai travaillé avec différents groupes et c’est vrai que dans Arkan je retrouve cette réelle envie de chanter, d'utiliser ma culture algérienne pour retranscrire des choses, des sentiments... voilà quoi. Au final, nous sommes tous très ouverts dans le groupe et nous écoutons beaucoup de choses différentes.

Arkan a sorti un EP, "Burning Flesh" (2006), puis deux albums, "Hilal" (2008) et "Salam" (2011). Comment juges-tu l'évolution du groupe, de sa musique depuis ses débuts ?

Foued : "Burning Flesh", j'en suis très fier, mais ce n'est pas le CD le plus abouti du groupe. La raison de son existence, c’est qu’au moment de la création d’Arkan il m'a fallu un support pour montrer à mes musiciens et au reste du monde ce que pourrait être un groupe de metal oriental. C’est un EP que nous avons créé et enregistré en six mois et au final, c’était de la pure énergie très proche de la musique extrême death. Et quand nous l’avons présenté à la presse et au public, tout le monde a été déçu parce que sur le papier, notre musique devait être très orientale. Et "Burning" était tout sauf ça, du moins pas assez pour un public qui en fait était beaucoup plus tolérant qu'on ne le pensait. Autant nous nous sommes bridés pour ne pas brusquer le public, autant nous nous sommes aperçus que les gens étaient très ouverts.

Comment vous êtes-vous bridés ? En effets orientaux ?

Foued : En fait, nous avons fait un EP de death metal avec quelques percussions par-ci par-là. Nous voulions quelques sonorités orientales pour ne pas choquer et au final, c’est le public et les journalistes qui nous ont dit : mais vous avez une pépite là, pourquoi vous ne vous lâchez pas plus. De "Burning Flesh" qui était représentatif de ce que l’on était en 2005, nous sommes passés à "Hilal" qui est beaucoup plus abouti. Nous avons passé deux ans pour le composer et l’arranger, nous sommes partis en Suède pour la production, nous sommes passés d’un album que l’on a enregistré avec des moyens sommaires à un album avec une production et des arrangements ultra léchés. En tout cas, c’est ce que nous avons essayé de faire avec "Hilal". "Salam" est juste la continuité avec un développement accentuant les ambiances orientales, progressives et atmosphériques. Nous avons aussi laissé plus de place à Sarah qui, pour le coup, s’exprime avec tout son talent.

Après "Salam", votre dernier album qui développait magnifiquement les ambiances orientales, Arkan va-t-il désormais, tout en continuant à proposer une musique puissante, poursuivre l'enrichissement de sa musique d'éléments orientaux de plus en plus présents ?

Foued : Non, on va partir sur du tango (rires).

Sarah : Il y a une évolution certaine...

Foued : Oui il y a une évolution, mais l’inconvénient des évolutions, tu ne les maîtrises pas plus que ça et un moment donné, on repartira peut-être sur de la musique plus extrême mais pour l’instant je ne pense pas que le futur album soit plus extrême. On va essayer de s’ouvrir encore plus, nous allons laisser plus de place à la composition à Sarah. Elle va pouvoir nous amener son expérience, ses envies, elle a fait partie de plusieurs projets donc elle a beaucoup de choses à nous apporter. Demain le groupe Arkan lui sera déposé sur un plateau et elle en fera ce qu’elle en pense, on lui fait confiance.

Quel est le concept développé dans "Salam" ?

Foued : Nos trois albums sont des concepts. Le premier racontait l’histoire d’un terroriste avec le premier titre qui était l’explosion avec la catastrophe que peut provoquer le suicide d’un "human bomb" et ensuite tout par quoi il est passé pour en arriver là avec les doutes, les questions et les problématiques, les injustices, etc... Ca, c’était le principe de "Burning Flesh". Assez dur dans les textes et dans l’histoire plus que dans la musique. J’avais vu une vidéo filmée par la police israélienne d’une Palestinienne qui est passée en Israël et s’est faite arrêter avant de se faire sauter. Au moment de son arrestation, elle dit à la police israélienne qui la filme : "je suis désolée, je ne voulais pas en fait, je regrette tellement le mal que j’aurais pu causer vous avez bien fait de m’arrêter". Là, on voit que la propagande peut, sur une personne un peu faible, déboucher sur un drame. Au moment où l’on a fait ce disque, c’était vraiment d’actualité. C’était la guerre en Irak, des attentats suicides en Afghanistan, pareil en Israël, donc il fallait vraiment que l’on marque notre histoire de cette pierre. Toujours autour du monde Arabe et de ses origines, "Hilal" raconte des légendes sumériennes qui est la première civilisation reconnue avant les Egyptiens et qui tire ses origines de la Perse donc un peu du monde arabe. Et là, cet album est très philosophique, beaucoup moins terre à terre que "Burning Flesh", nous voulions prendre du recul par rapport à ça car, à un moment, nous avons été taxés d’islamistes. Et nous sommes tout sauf pratiquants, nous sommes avant tout des témoins. On n’essaye pas d’envoyer un message politique à qui que se soit…

Sarah et Foued (en chœur): nous voulons simplement raconter des histoires, des choses qui pourront plus tard devenir des témoignages de notre temps…

Foued : "Salam" qui veut dire "paix", c’est tout un concept autour de deux peuples qui vivent côte à côte, qui sont vraisemblablement cousins ou frères mais qui en fait se détestent depuis des générations sans savoir pourquoi. En fait, à un moment donné, alors qu’il y a une guerre et des morts, ils finissent par se retrouver et ils se rendent compte qu’ils ont plus de points communs que de points de divergences. C’est ce qui se passe un peu entre Israéliens et Palestiniens. Lors de cette tournée, Kobi Fahri, leader d’Orphaned Land, m’a répété ce qu’il m’avait déjà dit lors d’une première tournée faite avec eux : j’ai plus de points communs avec toi qu'avec n’importe qui sur cette planète comme j’ai plus de points communs avec mes amis palestiniens qu'avec n’importe qui sur cette planète, pourtant on se fait la guerre et cela nous dépasse. Nous avons voulu en fait apporter un message de paix, c’est vrai que cela peut-être un peu cul-cul, un peu "fleur bleue" et que cela peut froisser certains métalleux, mais on s’en fout.

Sarah : Pour nous, c’est d’actualité et c’est ce que nous avons eu envie de donner et de raconter.

Etes-vous satisfaits des retours concernant "Salam" (chroniques, ventes...) ?

Foued: Oui nous avons des retours sur les ventes mais nous n’en tenons pas compte, le problème c’est qu'elles ne sont plus représentatives de la réalité actuelle. Maintenant, il y a des pointures françaises qui ne vendent pas plus de dix mille copies, c’est un disque d’or maintenant. L’accès à la musique a vraiment été détérioré par les labels et les distributeurs qui ont appliqué des prix très élevés en abusant car malgré la baisse de coût, au lieu de tirer le prix des CDs vers le bas et ouvrir la musique à tout le monde, ils ont préféré maintenir des prix très élevés, ce qui sur le plan économique ne se justifie pas. Car celui qui se gave le plus, généralement, ce n’est pas l’artiste ! Pour les chroniques, oui, nous y faisons attention, autant pour "Hilal", elles étaient de vraies surprises pour nous car cet album, nous l’avons fait en vrais autistes. En fait, on s’est dit : "on s’en fout de ce que l’on allait en dire, on voulait faire quelque chose de très représentatif de ce que l’on aurait fait dès le début si nous en avions eu la possibilité. Ok, on va le faire et on vous emmerde si vous n’aimez pas ça !" Puis à la sortie de l’album, tous ceux qui l’ont écouté, labels ou journalistes, ont tout de suite été enchantés. Et nous n’avons pas tout de suite compris pourquoi… Puis nous sommes repartis sur notre délire autiste pour faire notre album "Salam" qui, sur plein de points, est très différent de "Hilal". Et on s’est encore dit ce n’est pas grave s’ils n’aiment pas. Il s’avère que cela plait encore plus. Les journalistes nous ont encore plus suivis. Notamment en France, évidemment. En France nous sommes reconnaissants envers les journalistes qui, pour "Burning Flesh", nous ont filé un coup de pied au cul pour nous faire avancer, et pour "Hilal" où ils nous ont tout de suite suivis. Mais le plus dur était de toucher des pays qui sont très difficiles comme ceux du Nord de l’Europe ou les Etats-Unis. Et à part la France, bien entendu, les meilleures chroniques de "Salam" viennent de ces pays les plus difficiles. Je ne sais pas si c’est parce que "Salam" représente quelque chose de différent mais il nous a ouvert les portes à des chroniques de malade, c’est très surprenant mais c’est surtout une belle gratification.

Comment se déroule le processus de composition chez Arkan ?

Foued : Jusqu'à présent nous étions dans un processus de composition très binaire : les guitaristes et moi, on se retrouve puis nous déterminons une voie de direction.De manières différentes à "Hilal", aujourd’hui on compose avec un instrument oriental qui est le oud pour essayer de se rapprocher le plus de la musique orientale car c’est très difficile de la mettre en œuvre avec des instruments électriques.

Sarah : En fait, le oud ressemble à une mandoline avec un long manche et une caisse beaucoup plus arrondie qui fait penser à une demie pastèque.

Foued : Donc, sur l’album "Salam", à la différence de "Hilal", nous avons composé d’abord les lignes orientales et ensuite les parties Metal. Le fil rouge, c’est de privilégier les mélodies orientales avec beaucoup de travail et de réflexion sur la façon dont comment cela doit sonner. La composition est une chose mais l’arrangement est beaucoup plus long, c’est un processus épuisant. En fait, tu prends ton riff et le tourne dans tous les sens pour essayer de l’optimiser un maximum, c’est difficile à faire car il faut que cela reste naturel. C’est pour ça que "Salam" est un peu prog. Nous avons voulu en conserver ce côté naturel tout en en optimisant la mélodicité. Voilà, c’est sorti de notre cœur ! Sur le prochain, le principe de composition va partir sur la voix de Sarah, nous allons faire comme nous avons fait avec le oud précédemment, mais cette fois-ci, c’est le chant de Sarah qui va nous aider à trouver les lignes mélodiques et qui va être aussi le fil conducteur de l’album. Autour de son chant nous allons essayer de définir qui les percussions, qui les guitares… Cela devrait apporter encore des choses différentes dans le processus de composition... Cela ne s’arrête jamais en fait (rires).

On a dû vous le dire de nombreuses fois, mais le parallèle entre Arkan et Orphaned Land est incontournable ! Metal oriental, riche et puissant, qui prône la tolérance, une chanteuse enchanteresse, des vocaux extrêmes... comparaison attisée par la participation de Kobi Fahri à "Salam". Cette comparaison vous fait-elle plaisir ? Que vous inspire-t-elle ?

Foued : La comparaison est facile. Quoi que tu fasses, tu seras toujours comparé à quelqu’un. Que l’on nous compare à Orphaned Land qui le précurseur dans le metal oriental, il n’y a rien de surprenant. De plus, que l’on nous compare à l'un des meilleurs groupes du moment nous va très bien dès lors que la comparaison apporte quelque chose. Le processus de composition de "Salam" n’a rien à voir avec la façon de fonctionner d’Orphaned Land. Nous avons énormément de respect pour ces musiciens et j’ai beaucoup de respect pour Kobi et c’est pour cela que nous lui avons proposé de participer à une de nos chansons et de faire un featuring. Si nous les admirons, c’est vraiment pour leur message, pour leur ouverture d'esprit. Ils ont mis gratuitement à disposition leur dernier album pour tout le monde arabe, ils ont vraiment des démarches qui sont hyper tolérantes. Quoi que l’on en pense, ces types indépendamment d’être Israéliens, se sont de vrais humanistes. La première tournée c’est eux qui nous ont appelé, parce qu’ils savaient que l’on faisait de la musique orientale, ils nous ont dit: on part en tournée et on vous invite. Donc, nous les avons suivi comme ça… Cela était vraiment incroyable et pendant toute la tournée nous nous sommes retrouvés face à des gens vraiment humanistes. Vous avez dû vous en apercevoir tout à l’heure puisque vous avez interviewé Yossi Sassi, se sont vraiment des personnes apaisantes et extraordinaires. Mais indépendamment du respect que l’on a pour eux et de leur message, l’album "Salam" n’a jamais été composé sur un seul des concepts d’Orphaned Land… Comme je vous l'ai expliqué tout à l’heure, c’est un oud qui nous a guidé...

Une participation d'Arkan sur le prochain album d'Orphaned Land a-t-elle été envisagée ?

Foued: L’avantage avec ce groupe-là est que rien n’est fermé, il se peut que l’on nous appelle pour l’album prochain, dans deux albums ou un live, ou que l’on nous fasse monter sur scène avec eux pour jouer un titre. Tout ça est possible, mais cela fait partie de la magie de la musique où la veille rien n'est prévu et le lendemain on t’appelle puis on t’invite (rires).

Sarah est aujourd'hui membre à part entière d'Arkan et son chant est remarquable. L'incorporation d'un chant clair masculin est-il (ou a-t-il été, suite au départ d'Abder) également envisagé?

Foued: Abder était le premier chanteur, avant il y avait le mariage entre voix brutale, voix claire masculine et voix claire féminine. Ce mariage était relativement réussi sur "Hilal", l’inconvénient est que l’on a dû se séparer de lui car il avait d’autres projets pour sa vie et qu'il n’avait plus envie de mettre autant d’implication dans un groupe. Son départ étant concomitant avec "Salam", la question de son remplacement ne s’est pas posée mais il est évident quelle se reposera demain car avoir un chanteur en voix claire est une force et cela met d’autant plus en valeur la musique du groupe d’avoir autant de sonorités.

J'avoue avoir hâte de découvrir un DVD d'Arkan. Cela est-il prévu ? Lorsque cela se fera, peut-on imaginer la participation d'un orchestre de musique traditionnelle ?

Foued: Ecoute, sur cette tournée ce n’est pas prévu et je pense que ce serait compliqué. Mais en effet il a été évoqué de faire un DVD mais pour l’instant le projet est encore dans les cartons donc pour l’instant il est encore prématuré d'en parler. Mais vous serez les premiers à être au courant si cela se faisait.

Quels groupes évoluant dans la même sphère musicale qu'Arkan connais-tu et desquels es-tu fan ?

Nous n'en écoutons pas beaucoup, mais il y a Melechesh, un groupe de black metal aux sonorités orientales qui est basé au Pays-Bas mais se sont des Israéliens de Palestine. Puis, paradoxalement, un des groupes phare du metal oriental est Nile, un groupe américain qui a développé tout son concept sur la musique égyptienne.

Quels sont les projets d'Arkan, proches ou plus lointains ? concerts outre-Atlantique ?

Foued : Après cette tournée nous partons avec Arch Enemy pour une tournée française. L’idée est de défendre "Salam" le plus possible. En Mars 2012, on fait un festival en Tunisie. Les Etats-Unis, possible ça l’est, envisageable moins. Sur cet album, je ne pense pas.

Avez-vous commencé à composer pour le nouvel album ?

Foued : Pas avant la fin de l’année 2012. Pour l’instant c’est 100% tournée. Cela ne nous empêche pas de travailler avec Sarah, il est plus facile de composer en tournée que chez soi, en fait.

Nous vous remercions pour cette interview, nous vous laissons le mot de la fin !

Sarah : Nous espérons voir les lecteurs de cette interview sur cette tournée ou une prochaine. Et paix à vous.

En choeur: Salam !


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