Artiste/Groupe:

Dream Theater

CD:

The Astonishing

Date de sortie:

Janvier 2016

Label:

Roadrunner

Style:

Opéra Prog

Chroniqueur:

Didier

Note:

18/20

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Certaines chroniques sont plus difficiles à réaliser que d’autres. On parle ici de trente-quatre morceaux et de plus de deux heures de musique. Ca ne s’ingurgite pas facilement, mais en plus quand le tout est un opéra rock de Dream Theater, vous en conviendrez avec moi, c’est chaud patate. A la première écoute, je suis très surpris. Le groupe, à qui beaucoup reprochent de tourner en rond depuis quelques albums, tente une expérience novatrice et s’éloigne de sa zone de confort habituelle. D’ailleurs, sur la toile, les réactions ne se sont pas faite attendre. Une moitié de la fanbase crie au scandale, l’autre au génie. C’est vrai que la première écoute surprend, et je pense qu’une bonne partie de ceux qui crient au scandale n’ont pas été au-delà de la première écoute. La critique fuse toujours bien vite. Certains qualifie même l’œuvre de Disney Metal (il y a un passage "Roi Lion" dans Dystopian Overture, mais faut pas pousser) et c’est vrai qu’on se dit sur de nombreux passages que ce double album aurait fait une excellente musique pour un film, ou un dessin animé. Et ça tombe bien car l’œuvre raconte bien une histoire. Ca n’a pas été facile pour le comprendre car la version promo n’était qu’un tas de MP3 (blancs entre les morceaux, son médiocre, pas de booklet avec les détails de l’histoire, pas de paroles) balancé en vrac. Heureusement que Google est mon meilleur ami.

Je vous la fais courte : l’histoire se passe en 2285, le tyran Nafaryus règne avec sa famille (sa femme Arabelle, son fils Daryus, sa fille Faythe) et dans le pays, l’art (et la musique en particulier) est banni, seules d’horribles machines (les NOMACS, les bouboules en photo sur la pochette) sont habilitées à faire de la musique (enfin du bruit plutôt). Seul un petit village (Ravenskill) résiste, mené par son héros et chanteur Gabriel et son frère Arhys, le guerrier. La famille royale va donc au village et tombe sous le charme du chant de Gabriel, qui lui-même tombe amoureux de la Princesse Faythe. Le tyran réalise que Gabriel représente un danger pour sa couronne, et promet de raser le village si on ne lui livre pas Gabriel dans les trois jours. Faythe revient en cachette voir son chanteur mais son horrible frère jaloux Daryus la suit et en profite pour kidnapper Xander, le jeune fils d’Arhys, qu’il propose d’échanger contre Gabriel, espérant ainsi impressionner son père. Arhys accepte de trahir son frère pour sauver son fils qu’il élève seul depuis la mort de sa femme Evangeline. C’est la fin du premier acte (et du premier CD). Dans le deuxième acte (et CD), Arhys s’apprête donc à livrer son frère au lieu-dit Heaven's Cove. Mais sur place, Arhys change d’avis et combat Daryus, qui le tue, sous les yeux de son fils. Mais dans la bataille, Daryus tue aussi par erreur sa propre sœur Faythe. Oups, la boulette ! Quand Gabriel arrive sur place et découvre l’horreur, son frère mort et sa fiancée mourante, il pousse un tel cri qu’il rend Daryus sourd et à moitié fou, et que tout le pays l’entend. Le village vient aider Gabriel, qui en chantant parvient à ramener Faythe à la vie. Il est bien l’élu. Nafaryus se rend compte de sa bêtise et vire les NOMACS pour rétablir la vraie musique dans son royaume. Gabriel et Faythe se marient et adopte le jeune Xander. Rideau !

Vous voyez qu’on ne se fout pas de vous, même si l’histoire n’a rien de très original (Roméo et Juliette ?), on voit quand même qu’il y a eu de la recherche. D’ailleurs John Petrucci disait qu’ils feraient certainement quelque chose avec l’histoire (série, film, dessin animé, théâtre, il a éludé...). Pour vous en convaincre faites un tour sur le site web du groupe dédié à The Astonishing. C’est passionnant. Encore plus fou, jeter un oeil et une oreille au track by track (en anglais) qui permet de vraiment suivre l’histoire en écoutant un stream des morceaux.

Si côté histoire, ils se sont creusés le ciboulot, on entend de suite que côté composition, il en est de même. John et Jordan sont ici clairement à la manœuvre. Le piano est omniprésent dans cet album (ça risque d’être même trop pour certains d’entre vous). Je trouve par contre que la basse est plutôt sous mixée, et la batterie manque d’âme. Mike fait le boulot, bien même, mais le son est plutôt plat, je ne sais pas mais il me manque quelque chose (Mike Portnoy peut-être ? – oups c’est dit ). Celui qui sort carrément du lot, c’est James Labrie. Son chant est superbe, tout au long des deux heures quinze (quasiment tout est chanté, à part Dystopian Overture et quelques intermèdes de piano ou de NOMACS). Chapeau quand même ! Niveau production c’est extrêmement bien foutu (sauf la basse et la batterie): symphonique à souhait avec une grosse dose de piano, de violons (orchestre philarmonique de Prague), de chœurs vaporeux. Il y a pas mal de petits intermèdes musicaux ou de bruitages (Quand un Nomacs fait de la musique, ça donne un mix entre un D2R2 croisé avec un Terminator) entre des morceaux plus longs (mais jamais trop longs). James assure les voix de tous les personnages, sans forcément beaucoup changer sa voix, donc sans une explication comme celle du site web, il n’est pas facile de suivre l’histoire. On aimerait vraiment pouvoir un jour suivre l’histoire sur un support vidéo ou encore mieux, sur scène avec des acteurs. Si le piano est très présent, John balance quand même quelques solos magnifiques dont il a le secret (A Better Life, A New Beginning). Ca rassure un peu.

La vidéo suivante permet de suivre tout l’album avec quelques illustrations des différents personnages.


Globalement le ton est plutôt mélancolique, l’histoire n’est pas follement drôle, faut comprendre. De nombreux morceaux sont calmes, mid-tempo ou des ballades, avec pas mal de piano et bien peu de gros riffs. On trouve de nombreuses belles surprises quand même. Par exemple rien que dans l’Acte I :

  •  Le son des NOMACS (NOise MAChineS) et la Dystopian Overture, l’instrumentale, qui s’enchainent et qui plantent merveilleusement bien le décor. Au passage, si vous cherchez un truc pour tester de nouvelles enceintes acoustiques devant vos potes et impressionner vos voisins, essayez donc le NOMACS, à donf !
  • The Gift Of Music, le plus Dream Theater old-school de tout l’album (avec A Better Life et A Saviour In the Square). J’aime beaucoup les chœurs un peu gospel qui accompagnent James, et le solo de John

  • Le violoncelle dans l’intermède chanté The Answer
  • Lord Nafaryus et son ambiance super théâtrale, son passage de tango. On peut retrouver le génie de Queen dans ce morceau. Superbe.
  • L’intro solo de John sur A Saviour In The Square, très inspirée. Le gros riff du morceau est aussi pas mal du tout. James alterne les voix menaçantes (de Nafaryus) et celles posées (réponses de Gabriel)
  • Three Days, le passage où Nafaryus lance son ultimatum de trois jours, sorte de foutoir en mode cabaret (piano, cuivres, chœurs), encore une fois, super théâtral
  • Brother Can You Hear Me? fait penser à Pink Floyd, une chorale massive et des cuivres encadrent le chant de James. C’est assez majestueux et Arhys y déclare son soutien sans faille à son frère Gabriel
  • L’intro de A Tempting Offer est énorme. En écoutant au casque j’ai failli avoir une crise cardiaque, James prend la voix de Daryus, le méchant, qui enlève le petit Xander en le surprenant, caché derrière une porte
  • A New Beginning, assez progressif, et qui est aussi le plus long des morceaux avec ses sept minutes quarante-et-une. Un morceau assez symphonique avec des chœurs, des instruments originaux (clavecin, cuivres). Le morceau se termine par un long break sublime, dans lequel on entend bien, pour une fois, la basse de John qui groove, et sur lequel John (le barbu) pose un excellent solo (carrément mon préféré de l’œuvre), qui sonne pas mal Gilmour-ien.

 

Bien sûr il y a aussi quelques passages plus pâlichons ou un peu trop mielleux (overdose de piano !). Mais c’est là que si vous avez plongé dans l’histoire, celle-ci l’emporte sur l’intérêt musical et on reste quand même dans la partie. Ou pas.

 

  • When Your Time Has come, où l’ami Gabriel, dans un passage très introspectif, se pose un max de questions. James y fait une sacrée performance quand même. Quand je pense que certains critiquent sa voix (les appareils auditifs sont discrets et abordables aujourd’hui, les gars, n’hésitez plus !)
  • Act Of Faythe qui suit immédiatement, où Faythe, dans un passage très introspectif, se pose un max de questions, et surtout se découvre très amoureuse de Gabriel. C’est le creux de l’acte 1. Mais bon, pas facile de parler de ce qu’elle a sur le cœur en beuglant et sur fond de riffs acérés. Faut supporter l’histoire, c’est normal
  • A Life Left Behind, où Arabelle la mère de Faythe, découvre que sa fille est vraiment folle dingue de son troubadour et demande à Daryus de la suivre discretement à Ravenskill
  • Ravenskill, où Faythe rencontre Xander, qui la mène à Arhys, qui lui-même se laisse convaincre par la belle et la mène à Gabriel
  • Chosen, est une belle ballade dans laquelle Faythe convainc Gabriel qu’ils peuvent à eux-deux résoudre le conflit avec son père et ramener la paix dans la contrée : « I can’t climb this mountain on my own ». « With you by my side we will open his eyes ». C’est beau l’amour ! Ca fait écrire de belles choses
  • The X Aspect, où Arhys, dans un passage très introspectif, se pose un max de questions, et décide de trahir son frère pour sauver son fils et ne pas trahir la promesse faite à Evangeline, sa femme décédée, de s’occuper de leur fils


Dans l’Acte II, après une pause pipi (ou clope, ou les deux) bien méritée, je retiendrais :

  • 2285 Entr’acte, un petit morceau pour laisser à tout le monde le temps de se rassoir, et qui rappelle un peu les entractes musicaux des grands spectacles de cirque.
  • A Moment Of Betrayal est un excellent morceau plus dans le vintage Dream Theater. Quelqu’un a (presque) réussi à faire taire le piano de Jordan. Du coup les riffs et la basse ressortent. James y chante particulièrement bien. Dans l’histoire, on approche du moment fatidique. Gabriel discute avec son frère Arhys de sa rencontre avec Nafaryus organisée par Faythe. Alors que Arhys sait très bien que ça sera surtout l’échange de Gabriel contre Xander, son fils, qu’il a fomenté avec Daryus.
  • Heaven’s Cove est le lieu du rendez-vous piégé. Musicalement c’est de la guitare acoustique, des chœurs, et le piano qui vient prendre le relais. Le refrain a un petit air de James Bond, étonnant.
  • The Path That Divide, est un morceau assez théâtral. C’est le moment où face à un Daryus assoiffé de vengeance, Arhys revient sur sa décision de trahir son frère. Le combat fait rage. On entend des coups d’épée et des cris d’agonie quand finalement Daryus terrasse Arhys. C’est assez prenant. D’autant que le tout se passe devant les yeux du jeune Xander, qui vient d’assister à la mort de son père. Daryus va-t-il lui régler son compte aussi ?
  • C’est dans The Walking Shadow/My Last Farewell que tout bascule. James passe d’abord en mode très énervé, pour prendre le rôle du gamin dorénavant orphelin, puis la tension monte quand Daryus s’apprête à dégommer l’ombre qu’il croit être Gabriel. Sa lame frappe et tue… Faythe, sa sœur. Dans l’histoire c’est la cata. Musicalement c’est encore très bien fait. On se retrouve plongé au cœur du chaos ambiant, jusqu’au cri-qui-tue final de Gabriel (James) qui découvre le carnage. Cri qui rend Daryus sourd et dingue et ameute la population et le palais de l'empereur.
  • L’ambiance est enfin plus légère, c’est la fête au village, même. Our New World, illustre ce renouveau dans la contrée. Le refrain est super catchy, John, nous lâche quelques belles lignes inspirées. Je note les petits roulements de toms, qui rappellent Neil Peart de RUSH sur le final (qui a murmuré 2112 ?)
  • L’intermède Power Down, aurait pu s’appeler "Aux chiottes les NOMACS", car c’est à ce moment que Nafaryus leur coupe le sifflet.

 

Et dans les passages plus mous du genou de cet acte, vous trouverez :

  • La ballade Begin Again, où Faythe continue de se poser des questions sur sa vie, et le fait qu’elle voudrait vraiment vivre en paix dans le pays
  • Une autre ballade, Losing Faythe, dans laquelle Gabriel, puis Nafaryus découvre le cadavre de Faythe. C’est très mélodieux, à la fois au chant et à la guitare. Nafaryus, supplie Gabriel de faire quelque chose. Puisqu'il est l’élu, qu'il le prouve !
  • Une autre ballade, Whispers In The Wind, s’enchaine donc, dans laquelle Gabriel chante, accompagné ensuite (Hymn Of A Tousand Voices) des habitants de toute la contrée (c’est un peu bambi toute cette affaire). Sur cet hymne, un violon fait son apparition, l’ambiance est presque celtique, les gens tapent des mains. Les âmes sensibles peuvent essuyer une larme, car l’effet du chant de Gabriel (James) ramène la princesse à la vie. Gabriel est bien l’élu. The Astonishing, les gars, c’est lui !
  • L’œuvre se termine sur Astonishing, où tout est bien qui finit bien (sauf pour Arhys et Daryus quand même). Gabriel et Faythe se marient, élève Xander, qui vivra donc heureux et libre (comme l’avait promis Arhys à sa femme), dans une contrée libérée du joug de Nafaryus devenu pour le coup beaucoup plus raisonnable après avoir écouté la voix du peuple (un concept novateur qui ne marche pas bien souvent). Le morceau est musicalement très symphonique, lent et mielleux, dans son premier tiers. Heureusement que la guitare acoustique de John vient épauler James et nous sortir in extremis de l’assoupissement, qui fait généralement mauvais genre dans une salle d’opéra.

 

Bon, je vois que je me suis un peu étendu… Mais comment faire autrement ? C’est un projet vraiment ambitieux que nous propose ici Dream Theater en guise de treizième album. La prise de risque est très importante et ne va pas plaire à une partie de la fanbase. Pourtant le groupe ayant déjà tout fait ou presque, je ne peux qu’applaudir la démarche innovante, et juste regretter le manque de support vidéo (qui sera, j’en suis certain, comblé dans un avenir proche). On pense bien sûr à d’autres œuvres dans la même veine (Tommy des Who, The Wall de Pink Floyd ou encore Operation: Mindcrime de Queensrÿche). Je rêverais de voir l’œuvre montée en opéra sur scène un jour. J’ajouterais un dernier petit regret, celui de ne pas avoir eu Portnoy à la baguette, juste pour voir. Je pense qu’il aurait adoré être de la partie, pour la première fois depuis la séparation.

 

Tracklist de The Astonishing :


ACTE I

    01. Descent of the NOMACS
    02. Dystopian Overture
    03. The Gift of Music
    04. The Answer
    05. A Better Life
    06. Lord Nafaryus
    07. A Savior in the Square
    08. When Your Time Has Come
    09. Act of Faythe
    10. Three Days
    11. The Hovering Sojourn
    12. Brother, Can You Hear Me?
    13. A Life Left Behind
    14. Ravenskill
    15. Chosen
    16. A Tempting Offer
    17. Digital Discord
    18. The X Aspect
    19. A New Beginning
    20. The Road to Revolution

ACTE II

    01. 2285 Entr'acte
    02. Moment of Betrayal
    03. Heaven's Cove
    04. Begin Again
    05. The Path That Divides
    06. Machine Chatter
    07. The Walking Shadow
    08. My Last Farewell
    09. Losing Faythe
    10. Whispers on the Wind
    11. Hymn of a Thousand Voices
    12. Our New World
    13. Power Down
    14. Astonishing