Groupe:

Orakle

Date:

20 Juin 2015

Interviewer:

philippec

Interview Frederic A. Gervais

Lors du Hellfest, les groupes ne sont pas tous là pour jouer. Certains y viennent pour prendre contact et faire de la promotion. Cette année, c'était le cas pour Fred, un des deux membres fondateurs du groupe de black français Orakle, qui était là pour parler d' "Eclats" le nouvel album du groupe.

Bonjour Fred, merci de m'accorder un peu de temps, je fais partie du webzine "Aux Portes Du Metal".

Quand es-tu arrivé à Clisson et tu restes combien de temps ?

Nous sommes arrivés vendredi matin, nous restons deux jours, nous repartons dimanche matin.

Peux-tu nous présenter le groupe et nous en faire une bio rapide ?

Rapide cela va être compliqué mais je vais essayer. C’est un groupe qui a été créé au milieu des années 90, entre 1994 et 1995, par Pierre le batteur qui est toujours présent et moi Fred, nous en sommes le noyau dur. Nous avions treize ans, nous commencions à travailler sur nos instruments. Puis nous avons continué à faire de la musique ensemble, Orakle est une formation qui s’est construite sur le long terme, avec "L' Ineffable Emoi ... De Ce Qui Existe", un EP qui est sorti en 2002, puis un premier album "Uni aux Cîmes" en 2005, un deuxième "Tourments & Perdition" en 2008 et notre petit dernier qui est sorti en mai de cette année et qui s’appelle "Eclats". Actuellement Orakle est formé de cinq membres dont Pierre à la batterie, Etienne Gonin à la guitare, Antoine "Ohm" Aubry arrivé en 2013, lui aussi guitariste et  Emmanuel Rousseau aux claviers puis moi-même à la basse et au chant.

Pour cette édition, vous êtes là pour promouvoir "Eclats", votre nouvel album sorti en mai 2015, mais vous avez participé au Hellfest lors de l’édition 2009 je crois ? Quels en sont vos souvenirs ?

En fait, c’était une très grosse date pour nous, j’étais un peu stressé, même si cela ne se voyait pas trop et du coup j’ai eu du mal à emmagasiner des choses, et au final j’ai plus de souvenirs par rapport aux vidéos que j’ai pu voir plus tard. Mais globalement, c’était un grand moment pour le groupe. Même si nous passions le matin, il y avait pas mal de monde… c’était vraiment un très bon souvenir.

Depuis 2009, le Hellfest a bien changé. Quel est votre ressenti sur le festival ?

Moi quand c’est un grand festival, j’ai un peu du mal, au milieu de la foule, il y a vraiment beaucoup de monde. Après c’est vraiment une chance d’avoir un tel festival en France et d’avoir une qualité de groupes aussi importante qui viennent jouer, c’est hyper varié. Malheureusement cette année, on ne peut pas tout voir, déjà nous ne sommes pas là les trois jours et nous sommes surtout là pour la promotion de notre nouvel album.

Avez-vous pu voir quelques concerts ?

Aujourd’hui pas trop, mais hier on a vu sur la Warzone Oathbreaker, un groupe belge bien sympa. Puis on pris une grosse claque tard dans la nuit sur la Temple avec le groupe norvégien Shining. Je m’attendais un peu à prendre une fessée mais là, les mecs étaient vraiment fantastiques !

"Tourments & Perdition" a été vraiment salué par la critique il y a sept ans, cet album est devenu une référence dans le style black metal, vous a-t-il ouvert de nouvelles portes ?

Je pense que l’évolution entre "Uni aux Cîmes", notre premier album, et "Tourments & Perdition" s’est faite en pente douce, il y a des liens très très fort entre les deux surtout au niveau stylistique. On a eu, c’est vrai, de très bons retours et disons qu’il nous a permis tout de même d’ouvrir certaines portes comme l’accès à de gros festival, comme le Hellfest en 2009, ou certaines autres scènes que l’on a pu faire entre sa sortie en 2008 et le Hellfest de 2009 qui fut la dernière date d’une belle tournée. Puis très rapidement nous nous sommes remis au travail, d’une manière un peu autiste. Juste après le Hellfest nous avons eu une rupture de contact avec le monde extérieur et le public, pour se concentrer sur la création de ce nouvel album.

En sept ans, beaucoup de choses peuvent changer. C’est le cas pour votre musique : d’un black sombre et atmosphérique, elle prend un virage plus progressif, les chants sont plus clairs, vous assumez ce changement ?

Oui évidemment on l’assume, sinon cela n’aurait pas de sens pour nous. En fait cela fait très longtemps que nous avons des goûts musicaux qui sont très, très larges et qui vont au-delà du metal comme Queen et des artistes de la scène progressive comme Yes, King Crimson… Moi, je suis un gros fan de Bjork, de Mars Volta, Ghinzu… il y a plein de choses qui me plaisent en dehors du metal mais aussi dans le metal, je me suis construit comme ça. Cela était un choix délibéré de ne pas se mettre de barrière et de se dire « nous sommes au troisième album, on ne veut pas refaire la même chose », je suis assez souvent séduit par les groupes qui ne souhaitent pas refaire un truc identique d'un album à l'autre. Et du coup, même si la base reste metal, j’espère que toutes ces influences avec certains passages plus progressifs et d’autre plus rock se ressentent dans la musique que l’on a écrite.

Malgré cette évolution de style, les critiques vous restent fidèles, à croire que nous avons mûri avec vous ? 

Je ne sais pas si ce sont les mêmes qui restent fidèles, j’avoue que je n’ai pas étudié ça de près, mais il y en a tout de même quelques-uns qui clairement n’ont pas adhéré au changement de style. Mais bon, j’ai envie de dire que c’est un peu normal, pour certains qui s’attendaient à écouter un album très codifié black, nous avons abandonné plein de gimmicks propres à ce style. Même si, encore une fois, j’écoute encore du black et cela fait toujours partie de ma culture. Puis je pense que, malgré tout, cela s’entend encore un petit peu sur le disque. Mais globalement, ce qui est sympa, c’est que nous avons réussi à avoir des gens, là je parle plus des retours de critiques, qui reconnaissent une patte Orakle et qui du coup aimaient déjà le groupe, mais aussi il y en a pas mal qui le découvrent à cette occasion. Puis de toute façon quand tu disparais sept ans, il y a un moment où tu reviens quasiment comme un groupe nouveau et tu dois refaire tes preuves. Donc globalement, c’est une satisfaction d’avoir une reconnaissance sur quelque chose qui nous est propre et ça, pour un artiste, c’est vraiment important.

 

Le processus pour accoucher d’"Eclats" fut long, comment se fait le travail de composition ?

On travaille de moins en moins en répétitions avec des riffs qui tournent. Cela fait depuis l’album précédent que majoritairement c’est moi qui compose une espèce d’enveloppe de matière brute avec plein d’idées, de riffs, puisque en gros je m’occupe des parties strictement musicales : guitares, claviers, basse et chant. Et du coup, Pierre, l’autre membre originel du groupe qui est batteur lui, a les mains libres pour créer ses parties de batteries. Puis c’est principalement nous deux qui construisons avec cette matière l’architecture des morceaux, un peu comme des histoires. Le processus est de prendre un fil au début et on le tire au fur et à mesure suivant l’inspiration du moment pour l’amener vers différentes ambiances, ce qui fait aussi que nous avons des compositions très longues, parce que nous passons par plein d’états d’esprit et d’angles différents dans une même compo.

Les artworks et visuels des deux précédents albums étaient très sombres et tourmentés, peu figuratifs. Là, au contraire, pour "Eclats" le visuel qui compose l’artwork est posé sur un fond blanc donnant cette fois-ci un côté plus aéré et figuratif. Pourquoi ce changement et qui a trouvé ce visuel ?

L’idée première de l’artwork d’"Eclats" vient de Pierre le batteur qui connaissait  en fait l’œuvre du créateur dont on a utilisé la sculpture qui s’appelle Robert de Le Lagadec, décédé au début des années 2000. Nous avons rencontré sa veuve et son fils avec qui nous avons vraiment échangé sur le  projet. En fait, Pierre qui écrit aussi une partie des  textes et qui a donc aussi la vision musicale ainsi que textuelle du groupe, a pensé de suite à son œuvre. Il avait visité à Fontenay-les-Briis le jardin où sont exposées ses sculptures, il y a quelques années auparavant. Effectivement, il nous a dit "putain les mecs, il faudrait vraiment que l’on retourne voir ça de plus près car je pense que cela peut coller à ce que l’on cherche". Robert de Le Lagadec était un artiste qui créait ses sculptures avec du métal de récupération pris sur de vieilles cuves à mazout qu’il découpait et refaisait fondre. Puis derrière, il retravaillait cette matière pour lui donner des formes, étant passionné de mythologie, c’était souvent des formes de demi-dieu, et il y a dans son œuvre toujours une espèce de contraste entre le beau et le laid, un côté assez brut mais en même temps très travaillé, dionysiaque tout en restant apollinien. L’idée première est venu de Pierre, mais nous sommes tous vraiment tombés amoureux et sous le charme de ces sculptures. Et nous nous sommes dits que cela collait complètement au contenu musical ainsi qu’au contenu textuel. Comme tu le dis dans ta question, dans nos deux précédents albums, les visuels étaient assez sombres et tourmentés. Là, même si l’album garde une certaine complexité, nous voulions prendre un peu le contrepied de tout ça en apportant une dimension plus aérée au disque.

Tu viens de parler des textes, comment se fait leur écriture et par qui ?

Nous sommes deux à écrire les textes : Pierre et moi. Sur tous les albums, nous avons toujours fait à peu près la moitié des textes, trois, quatre chacun selon le nombre de morceaux. Nous travaillons de façon assez indépendante, la plupart du temps les textes viennent après la musique. Je dis la plupart du temps car sur cet album il y a un texte, "Le Sens De La Terre", que Pierre avait écrit avant, et nous avons finalement brodé la musique autour pour que celle-ci puisse suivre l’évolution de son texte. Mais globalement, on travaille la partie musicale bien à l’avance. On écrit de façon indépendante, Pierre de son côté par rapport à des lectures ou des choses qui le travaillent et qu’il aimerait creuser sur le moment et moi de la même manière. Puis on échange quand même sur les idées, et on trouve des fils conducteurs au fur et à mesure, même si on écrit chacun sur des thèmes qui nous intéressent à un moment donné, nous arrivons toujours à trouver des choses qui font que ces thèmes se rejoignent à un certain point, qui font que l’on arrive à un album homogène même si cela était fait de manière disparate au début. 

Je suis surpris par ta réponse, on ressent un telle homogénéité dans les textes que je pensais qu’il y avait un thème conceptuel… 

En fait nous sommes très proches avec Pierre, nous échangeons régulièrement sur des auteurs ou des choses qui nous intéressent à un moment donné. Parfois nous ne sommes pas d’accord et il peut y avoir des perspectives différentes dans l’album, mais globalement il y a toujours un lien. Pierre a beaucoup lu Schopenhauer juste avant d’écrire et du coup il a écrit un texte sur l’espèce de rapport qu'a l’homme avec une souffrance qui peut être considérée comme universelle, c’est à dire « tout ce qui vit souffre et tout ce qui souffre vit ». Il a développé ce thème-là qui met l’être humain en rapport à une totalité du vivant. Et de mon côté, j’ai pas mal écrit sur le rapport de va et vient entre le côté isolé, refermé de l’être, et paradoxalement sa volonté de trouver quelque chose qui l’englobe… donc une totalité. Dans les deux cas nous avons un rapport entre un être isolé qui est fermé sur lui-même, qui ne vit les choses que par le prisme de ses sens et de son expérience, et en même temps qui voudrait s’ouvrir à une espèce de transcendance. Et on s’est retrouvé sur ces textes. Donc nous avons vraiment un échange qui permet, même si on travaille chacun de notre côté, d’avoir un résultat homogène comme tu le dis.

Dans vos interviews, Pierre et toi faites souvent référence à de grands philosophes tels que Nietzsche. Est-il une influence pour vous ?

Je vais commencer par moi car cela va aller plus vite, cela fait très longtemps que je lis Nietzsche, j’ai essayé de creuser un petit peu, mais Pierre lui a fait des études de philo et a notamment consacré son travail de Maîtrise à Nietzsche. Je ne suis pas sûr mais je crois que le thème était le principe de l’éducation chez Nietzsche. Nous ne sommes pas toujours d’accord avec sa vision mais c’est un auteur qui nous a influencés de façon importante, Pierre notamment.

Pensez-vous tourner pour promouvoir ce nouvel album ?

Ce serait bien ! On commence vraiment à travailler dessus. Nous avons eu un planning chargé avec la sortie et tout le travail que cela a demandé. En plus, nous avons fini l’album en novembre 2014 et en gros, nous avons été un peu pris de cours pour démarcher les festivals de toute la période estivale. Donc, le gros du démarchage se fera sur la rentrée, l’automne (septembre, octobre, décembre), et plus pourquoi pas. L’objectif que l’on a est de défendre ce nouvel album sur scène à la rentrée.

La question bateau : faudra-t-il attendre sept ans pour avoir un autre album d'Orakle ?

On me la pose à chaque fois celle-là ! Je ne veux pas te dire oui ou non, si tu m'avais demandé ça en 2008 je ne t'aurais jamais répondu qu' "Eclats" allait sortir en 2015. Je suis maintenant plus libre de mon temps puisque je me suis mis à mon compte, j'ai monté mon studio d'enregistrement, le studio Henosis. Etant le principal compositeur, pour "Eclats", je composais tard la nuit après le boulot, des fois un peu claqué. Maintenant je suis beaucoup plus libre, je peux composer lorsque j'en ai envie. Globalement, j'espère que l'on pourra sortir quelque chose beaucoup plus tôt.

As-tu actuellement un livre de chevet ?

Ces dernières années, j’ai lu dix tomes du penseur français Georges Bataille, même si je ne me retrouve pas dans tout, il m’a pas mal influencé et il m’est apparu pas mal d’évidences en le lisant, ça a duré pendant un long moment (pratiquement deux ans). Un livre de chevet, des livres pour le coup car il y a dix tomes ! Et très sincèrement, depuis quelques mois, j’ai peu ouvert de bouquins car j’ai besoin de souffler. 

Et musicalement ?

En matière de metal, les deux derniers trucs qui m’ont bien plu sont le dernier album du groupe Dødheimsgard (ou DHG en abrégé). Ce sont des Norvégiens qui font de la musique bien barrée. Puis j’ai bien aimé le dernier album de Solefald, aussi un groupe norvégien. J'écoute beaucoup de choses, je suis très ouvert et parfois j'ai des bonnes surprises.

Pour finir, quelques mots pour nos lecteurs?

Merci à tous ceux qui sont allés au bout de l’interview (rires). Puis j’invite les lecteurs curieux à venir écouter "Eclats" qui est en streaming sur Youtube. Un titre, deux titres, l’album entier... Et aussi une fois que les dates seront annoncées, à venir nous voir en concert. Et merci à toi.