Groupe:

Penumbra

Date:

21 Octobre 2015

Interviewer:

Orion

Interview Jarlaath

Salut Penumbra ! Heureux de vous retrouver. "Seclusion", votre dernier album, date de 2003. Vous savez que vous nous avez manqué ? Qu’avez-vous donc fait depuis tout ce temps ?

Pour la plupart, nous nous sommes tout simplement consacrés à nos vies professionnelles et personnelles. Juste après la sortie de notre 3ème album "Seclusion" en 2003, nous étions à la croisée des chemins. Penumbra était notre passion mais prenait beaucoup de temps et d’énergie et d’autres voies s’ouvraient alors à nous. Avec un line-up fragilisé par le départ de Dorian et de notre chanteuse de l’époque, des ventes d’albums certes significatives mais ne nous permettant clairement pas d’espérer en vivre décemment, le choix de se consacrer pleinement à nos vies personnelles et professionnelles était alors une évidence. Ceci dit, plusieurs membres se sont aussi consacrés durant cette dernière décennie à d’autres projets : Asphodel dans Pin-up Went Down, Agone dans Synoptia, Loïc dans Willow et Arathelis dans The Old Dead Tree. La musique tient une place importante dans notre vie et étant tous des vrais passionnés, nous n’avons jamais coupé les liens avec cet art. Parallèlement, nous avons aussi mis à profit cette pause pour repenser notre musique car, clairement, nous ne voulions pas faire exactement la même chose qu’avant. Il était important de garder l’ADN de Penumbra mais aussi d’essayer de proposer autre chose. Selon nous, il est fondamental pour un groupe d’explorer de nouvelles voies, de proposer d’autres sonorités, etc…. Par respect pour son public mais aussi par respect pour lui-même.

Alors, il y a sûrement pas mal de nos lecteurs qui ne vous connaissent pas. Pouvez-vous présenter le groupe ? Qui le compose aujourd’hui et qui sont les membres qui font toujours partie du groupe, douze ans après le dernier album ?

Penumbra a été fondé en 1996 par Dorian et moi-même, très vite rejoints par Néo. Nous avons sorti notre premier album en 1999, "Emanate", sous le label Allemand Last Episode / Serenade Records qui nous a assuré une bonne distribution. Notre musique était alors un mélange de dark metal, de gothic metal et de musique classique (chœurs, chants lyriques, orchestrations) avec notamment la présence d’un hautbois que j’assurais en plus du chant. En 2001 et 2003, "The Last Bewitchment" et "Seclusion" sont sortis sous le pavillon Season Of Mist, ce qui a permis de faire connaître encore davantage le groupe et de faire des tournées avec des groupes tels que Within Temptation, Epica, etc… Sous l’ère de "The Last Bewitchment", qui avait eu de très bonnes critiques et qui nous avait permis de pénétrer des zones comme l’Amérique Centrale et du Sud, nous étions souvent considérés comme les Therion français, raccourci facile fait par des journalistes mais peut-être nécessaire pour situer notre musique. L’album "Seclusion" était moins symphonique que le précédent mais, de mon point de vue, plus personnel, plus sombre et plus complexe. Les chœurs, bien que toujours présents, s’étaient effacés au profit d’un vrai chant lead féminin. Quant au line-up, il est, pour simplifier, le même que celui qui a succédé au départ des deux membres cités plus haut. Asphodel assure le chant féminin, Néo et Loïc les guitares, Agone la basse et certains chants, Arathelis la batterie et moi le chant en général. Zoltan, qui était aux claviers, a souhaité prendre du recul mais il demeure toujours partiellement investi dans le groupe. Dans les faits, ce line-up s’apparente plus à une famille ou un groupe d’amis, ce qui constitue d’ailleurs l’une des forces de Penumbra.

L’ossature du groupe est donc restée la même. Qui sont les compositeurs de ce nouvel album ? Les mêmes qu’avant ?

Sur certains morceaux, la composition est quasi collégiale. Pour les autres, l’impulsion a été donnée par Néo et moi-même, mais les autres apportent également leurs idées, tout particulièrement Asphodel pour certaines de ses lignes de chant.

Les titres du nouvel album ont été écrits durant ces douze années ou sur une période plus courte ? De quand datent ces nouvelles compositions ?

La très grosse majorité des titres ont été écrits ces 18 derniers mois. Nous savions dans quelle direction aller musicalement même s’il n’a pas été forcément évident de formaliser concrètement ces idées et de mettre tout le monde d’accord. Nous avons aussi repris trois morceaux qui avaient été écrits en 2008 pour une démo réalisée pour notre propre compte mais les avons modernisés ; sauf "Avalon" qui, rétrospectivement, fait le pont entre l’ancien et le nouveau Penumbra.

Vous étiez un grand espoir de la scène Metal française à l’époque de la sortie de vos deux derniers albums. Aujourd’hui, tout est à refaire avec la sortie de "Era 4.0" car en douze ans, de l’eau est passée sous les ponts. Pensez-vous que vos fans de l’époque soient toujours là ? Vous vous doutez bien que leur attente est énorme. Comment vous sentez-vous par rapport à ce nouveau défi ?

A notre grande surprise, nous avons gardé encore pas mal de fans notamment en Amérique du Sud et Centrale, au Mexique et en Russie. En Europe, beaucoup de choses sont effectivement à refaire mais nous sommes plutôt sereins car nous ne savons que trop bien qu’il existe des paramètres pour lesquels nous n’avons pas la main et qu’il ne sert donc à rien de stresser. Ceux qui ne nous connaissent pas encore mais qui nous apprécieront avec ce nouvel album auront plusieurs albums à découvrir. Ce dernier point peut être aussi une force pour le groupe. Quant à ceux qui nous attendent avec impatience, je tiens à leur dire qu’ils retrouveront l’ADN de Penumbra, c’est-à-dire un groupe qui plus que jamais s’est affranchi de toutes contraintes musicales. "Era 4.0", c’est un ensemble de morceaux qui intègrent beaucoup d’influences metal, avec des sonorités modernes, symphoniques, celtes, ethno,… Un album où tous les morceaux ont une très forte personnalité mais qui sonnent tous « Penumbra ».

En douze ans, le paysage musical a pas mal évolué. Quels sont les groupes qui vous influencent ou que vous écoutez aujourd’hui ?

Globalement, nous écoutons encore beaucoup d’albums qui sont sortis il y a 10 ou 15 ans et qui constituent donc toujours une influence non négligeable pour Penumbra. De mon point de vue, cette période avait été très prolixe en termes de créativité musicale et d’ailleurs, une multitude de sous-genres étaient apparus. Ainsi, nous écoutons toujours des groupes comme Tiamat, The Gathering, Theatre Of Tragedy, Samael, Rammstein, Anathema, Therion, Paradise Lost, Moonspell, Lacuna Coil, The Birthday Massacre, In Flames, etc… que nous suivons, certains plus que d’autres, encore aujourd’hui. Je n’ai en revanche – tout du moins, c’est mon sentiment - pas perçu de réelle révolution ces dernières années sauf au niveau de la production, le son des albums d’aujourd’hui étant en moyenne nettement au-dessus de ce qui se faisait avant. D’une manière générale, les albums sont bons, oui, mais ne créent pas de surprise, voire ont tendance à se répéter. Nous n’avons pas non plus adhéré à la surenchère de « symphonique » opérée par certains groupes sur la dernière décennie. Mais peut-être que ma vision est biaisée car influencée par un tropisme générationnel. Et nul doute que je sois passé, par manque de temps, à côté de vraies perles. Je dois aussi admettre qu’il m’arrive de me prendre quelques claques quand j’écoute certains morceaux de groupes plus récents ; mais très souvent, quand j’écoute leur album en intégralité, je ne suis au final pas forcément séduit.

Je remarque notamment, à l’écoute de ce nouvel album, un fort penchant pour les sonorités électro. Il s’agit d’un gros changement stylistique. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette évolution ?

Nous commencions déjà à intégrer ces sonorités sur "Seclusion" et il nous a semblé naturel de poursuivre dans cette voie pour "Era 4.0". Et c’est vrai qu’on a pris de plus en plus de plaisir à composer sur une base élaborée à partir de sonorités électro d’où ce sentiment que tu as décrit. Mais au risque de me répéter, ces sonorités font partie d’un tout et ne prennent pas le dessus, sauf sur certains passages où l’intention était présente et assumée.

Quels sont les thèmes de ce nouvel album ?

Au niveau des textes, "Charon", "Avalon" et "Eerie Shelter" sont des vestiges du passé, ces derniers s’inscrivant dans l’histoire que nous avions amorcée avec "The Last Bewitchment" et "Seclusion". Mais pour être honnête, j’en avais assez d’être prisonnier de cette histoire et j’avais besoin de m’en écarter. Ainsi, les autres chansons évoquent des thèmes plus contemporains et indépendants les uns des autres : la superficialité, le refus voué partiellement à l’échec d’accepter la routine, la capacité de l’homme à se renier totalement lorsqu’il ingère une idéologie nauséabonde, la confrontation à une forme d’amour qu’on n’imaginait pas, la recherche destructrice de la perfection, la possibilité d’être face à son dernier choix, etc…

Qui a produit l’album ?

Pour la première fois de son histoire, Penumbra a produit à 100% cet album, exception faite du mastering. Nous nous sommes occupés de toutes les prises de son, de leurs traitements et du mixage. A l’origine, nous voulions qu’un ingénieur son extérieur s’occupe de notre mix afin de bénéficier d’une oreille neuve sur nos morceaux. Mais cet essai fut à nos yeux un désastre. Le mix proposé était à mille lieues de ce que nous attendions et ce à plusieurs niveaux. Cela nous a coûté de l’argent et du temps mais au moins, cela nous a fait prendre conscience que nous savions plus que nous le supposions dans quelle direction aller au niveau du mix. Je tiens à préciser que cette prise de décision a été rendue possible dans la mesure où plusieurs membres de Penumbra sont des professionnels du son ce qui a évidemment grandement facilité les choses. Nous sommes très fiers du résultat, et jusqu’ici, les remarques concernant la qualité de la production ont été très bonnes. Cela prouve que nous avons fait le bon choix.

Pouvez-vous nous parler un peu de l’artwork de ce nouvel album ? Qui en est responsable ?

Nous voulions un artwork qui délivre visuellement plusieurs messages : notre retour, les accents beaucoup plus modernes de notre musique, les thèmes abordés, etc... Nous avions également comme souhait d’utiliser une image féminine, car c’est une constante dans nos albums depuis "The Last Bewitchment". En regardant ce qui se faisait sur Internet, nous sommes tombés sur des œuvres réalisées par Mario Sanchez Nevado qui ont retenu notre attention. Nous l’avons contacté pour qu’il s’occupe de notre visuel et il accepté avec plaisir, d’autant plus qu’il écoutait Penumbra il y a quelques années !! Au final, nous nous sommes dirigés vers un artwork représentant, au milieu des flammes, une femme humanoïde qui suggère une certaine duplicité.

Vous sortez ce nouvel album par vos propres moyens ou vous avez signé avec un label ?

Ce que je vais te dire va te paraître étrange mais nous n'avons démarché aucun label. Nous ne voulions pas nous mettre de pression et garder dans le futur le contrôle total de cet album. Nous avions aussi conscience qu’après près de 10 ans d’absence, nous n’étions pas en position de force pour négocier un très bon contrat. Inconsciemment, je crois qu’on voulait aussi tenter l’aventure de l’auto production et éviter ces contrats qui comportent des clauses trop restrictives, manquant de clarté et de transparence tout en induisant à terme des comptes d’apothicaire. Aujourd’hui, nous voulons plus que jamais de la clarté, de la simplicité et une totale transparence dans tous les domaines intrinsèques à la musique. Nous ne sommes pas contre le fait de travailler avec un label mais nous ne voulons pas perdre notre temps à faire des courbettes, à accepter, dans le cas de certains d’entre eux, l’inacceptable. Nous partons de toute façon du principe que si un label est intéressé, il nous contactera. Dans le cas inverse, il existe aujourd’hui plein de solutions pour qu’un groupe poursuive son chemin sans label de production, même si certains écueils sont à éviter. En revanche, pour la distribution physique, le groupe avait besoin d’un partenaire sérieux, bien implanté et ce sur un périmètre important. C’est pour cela que nous avons signé avec Soundworks, la division distribution de Season Of Mist avec qui nous avons gardé de bonnes relations.

Allez-vous tourner une vidéo pour promouvoir cet album ? Le passage par Youtube est aujourd’hui devenu essentiel.

Je suis tout à fait d’accord, et c’est clairement devenu l’une de nos priorités. En revanche, si c’est pour faire quelque chose de cheap comme je vois souvent, autant ne rien faire. Donc si quelqu’un de talentueux et d’accessible veut travailler avec nous sur cet axe, qu’il nous contacte !! Le message est lancé.

Vous avez bien verrouillé la possibilité que votre album se retrouve sur le net avant sa sortie en ne proposant aux webzines que des morceaux en streaming avec de surcroît, des voices-over par dessus. Cela m’amène à la question que l’on pose presque à tous les groupes : quelle est votre position sur le téléchargement illégal ? Et plus largement, est-ce qu’à votre avis, internet est en train de tuer l’industrie musicale ?

La pire des choses pour un groupe qui sort un album, c’est de se faire court-circuiter plusieurs semaines avant la sortie. Or nous avons plein d’exemples autour de nous de groupes dont l’album était déjà en téléchargement alors même qu’ils étaient au début de leur phase de promotion. Ceci à cause de journalistes peu respectueux. Nous avons donc réfléchi à une méthode qui minimiserait ce risque et l’avons imposée au label qui s’occupe de notre promotion. A terme, nous savons que l’album une fois sorti sera piraté mais au moins, l’effet de surprise aura peut-être été préservé. Le numérique a-t-il tué l’industrie musicale ? Si l’on est purement factuel, la réponse est non dans la mesure où les groupes continuent de s’accrocher pour proposer des œuvres bien réalisées et faire des concerts, où des labels de production, de promotion et de distribution, continuent d’exister. Un changement de paradigme s’est clairement opéré depuis l’avènement d’internet, c’est vrai. Il faut l’accepter et s’adapter. Nous n’avons pas d’autre choix quel que soit notre avis sur la question. De plus, une réponse tranchée sur celle-ci me semble difficile car Internet autorise certes le pire… mais aussi le meilleur.

Vous avez déjà des idées pour un prochain album ? Ou alors va-t-il falloir attendre encore une dizaine d’années ? ;-)

Nous avons des morceaux sous le coude, donc pourquoi pas un cinquième album dans les deux années à venir. Mais pour l’instant, la priorité est de tout faire pour que cet album marche et que Penumbra compte parmi les groupes de gothique metal les plus populaires.

Ce nouvel album, je suppose que vous allez chercher à le défendre sur scène. Est-ce que des dates sont déjà prévues ?

C'est aussi l’un de nos axes de travail actuel : trouver des concerts intéressants et des tournées nous permettant de remettre le pied à l’étrier dans de bonnes conditions. J’en profite ici aussi pour lancer un appel aux organisateurs.

A l’affiche du Hellfest en 2016 ?

Que les organisateurs du Hellfest nous contactent et ils obtiendront de notre part un "oui" avec plein d’étoiles dans nos yeux ! C’est le rêve de n’importe quel musicien de metal que d’aller jouer là-bas… Nous avons gardé sur certains aspects une âme d’enfant et les rêves qui vont avec. Or, certains rêves d’enfant sont faits pour être réalisés !

Je vous laisse le mot de la fin pour nos lecteurs.

La force du metal, c’est la très forte passion que nous éprouvons tous pour cette musique, que nous soyons musicien ou simple auditeur. Nous sommes fiers d’appartenir à ce monde et remercions tous ceux qui nous ont suivi et supporté jusqu’ici, ainsi que tous ceux qui, après cette interview, auront la curiosité d’écouter nos albums, laissant ainsi à Penumbra la possibilité de gagner leur cœur.