Groupe:

My Own Private Alaska

Date:

18 Juin 2020

Interviewer:

fabulous

Interview My Own Private Alaska

Vous voilà reformés après l’arrêt du groupe en 2014. Qu’est-ce qui vous manquait le plus ? La scène ? Vos fans ? Ou tout simplement la musique ?

M. : La musique. Il y a des morceaux que tu as écrits dix ou quinze ans auparavant, et qui vieillissent plus ou moins bien. Tu les regardes avec tendresse et nostalgie mais tu ne te verrais pas les interpréter sur scène au présent. Avec MOPA, je suis toujours extrêmement ému par les mélodies du piano de Tristan, et l'équilibre qu'on est arrivé à trouver à l'époque avec la voix et la batterie me transporte toujours. Je me suis rarement senti autant entier et jusqu'au-boutiste que dans MY OWN PRIVATE ALASKA. Je voulais du coup que cette musique soit vivante, et pas enterrée. La scène me manquait aussi. Et nos fans sont aussi magnifiques, ils nous ont envoyé tellement de retours émotionnels forts. Mais c'était important que l'élément déclencheur soit interne.

Dix ans déjà que votre formidable album Amen est sorti, et dont vous proposez une réédition pour l’occasion. Il a été produit par Ross Robinson, c’était une bonne expérience de travailler avec lui ?

M. : C'est une expérience incroyable. Pour ma part, c'est l'expérience qui m'a le plus grandi en tant que chanteur, interprète, artiste. C'est une expérience qui peut aussi faire beaucoup de mal. Beaucoup de groupes qui sont allés là-bas racontent les traumas qu'ils ont vécus à Los Angeles, mais même quand c'est positif, ce n'est jamais une expérience anodine. Korn, Slipknot, Sepultura ont été transcendés par Ross, mais ces groupes-là n'ont pas eu envie de faire tous les albums chez lui non plus ! C'est psychologiquement et physiquement éreintant… Il faut accepter de remettre en question des vérités les plus ancrées, en acceptant la possibilité que ce que tu vas trouver sera dix fois plus fort, plus vrai, plus intense, que ta manière de jouer auparavant. Et pour ma part, c'est ce qui s'est passé. J'ai changé de technique vocale sans réellement prendre de cours de chant. J'ai pu répéter des choses hypra violentes sept heures par jour pendant quatorze jours d'affilée, en ne sentant aucune fatigue, aucun impact sur ma voix. Ni moi ni les collègues n'y croyions. Et pourtant c'était en train de se passer. C'est un gars qui va « ouvrir ta palette d'expression émotionnelle », c'est pour cela qu'on retrouve de la voix parlée, de la voix chantée, de la voix criée, screamée, hurlée sur cet album. A aucun moment, il n'a dit : il faut chanter pour la radio. C'était mon être au plus profond qui avait envie de dire ses mots de plein de manières différentes selon les différentes émotions qu'ils incarnaient, et plus de suivre uniquement un « cahier des charges metal ou screamo ou je ne sais quoi ». Mais tout cela est assez dur à assumer psychologiquement. Il faut vraiment être armé pour aller là-bas. J'étais moi-même dans un mood un peu spécial à l'époque, donc c'est ce qui m'a sauvé aussi, mais je pense que les musiciens ne réalisent pas que des expériences comme ça peuvent te faire exploser en plein vol en tant que musicien. Ross nous a raconté des expériences « off the record » de groupes qui ont modifié leur line-up juste après, voire pendant le studio, des mecs qui se barraient, refusaient de se remettre en question, refusaient de se voir mettre le nez dans leur merde, car l'enregistrement faisait ressurgir les égos, les faiblesses, les mensonges.

Est-ce que c’est les dix ans de votre album Amen qui vous a donné envie de reformer le groupe ou vous y pensiez déjà depuis un moment ?

T. : On y pensait déjà avant. Comme évoqué avant par Milka, cette musique sert à nous sentir humain, et on avait besoin de ressentir à nouveau ce genre d’émotion. Sans parler de l’aventure humaine et des tournées qui nous manquaient. Et l’étape des dix ans a été le moment symbolique qui nous a fait agir : c’était maintenant ou jamais.

Vous avez fait une superbe reprise de Where Did You Sleep Last Night? de Huddie Ledbetter et rendu célèbre par Nirvana, c’est un exercice qui vous plaît ? On peut s’attendre à d’autres reprises dans le futur ?

T. : Franchement, je l’ai souvent dit : j’aime l’idée de « composer » une reprise par album. Mais c’est un exercice assez périlleux. J’ai toujours adoré les groupes qui arrivaient à transcender les compos des autres. C’est à la fois tellement culoté et tellement honteux. Pour l’instant, j’ai quelques pistes de chansons que j’aimerais bien réinterpréter mais je priorise les compos. On verra bien, c’est un peu du bonus à ce stade.

Comment se passe la composition chez MOPA de manière générale ? Et pour l’album Amen qui a fait quoi ?

T. : C’est moi qui apporte le squelette du morceau dans tous les cas. Ce qui est plutôt logique puisque jusqu’à présent je suis le seul à jouer d’un instrument mélodique au sein du groupe. Parfois on cherche un riff ou on modifie la structure tous ensemble pour mieux coller aux textes ou pour ajuster selon la longueur du morceau, mais dans l’ensemble on ne compose jamais en répète car j’arrive avec les idées que j’ai déjà travaillées en amont seul chez moi. Ceci dit, avec l’apport de Galak au clavier-basse, il n’est pas impossible qu’on fasse évoluer le mode de composition en partant d’un de ses riffs. D’autant plus qu’il est également pianiste de formation, il y a moyen de sortir de notre zone de confort et d’aller chercher un peu de nouveauté de ce côté-là.

Amen, et la musique de MOPA, est tellement original et audacieux que j’ai l’impression que votre musique a encore plus sa place dans le paysage musical actuel où de nombreux groupes n’hésitent pas à mélanger les styles et utiliser de plus en plus des instruments qu’on n'avait pas l’habitude d’entendre auparavant, ou très peu dans le « milieu » metal. C’est aussi ton avis ? Vous vous sentiez un peu comme des précurseurs il y a dix ans ?

M. : Par définition, oui, la musique qu'on fait, qu'on faisait alors est « originale », en terme de line-up. Il n'y avait pas dans le paysage « metal » de groupe sans guitare sans basse, avec juste du clavier. Si on est précurseurs ou pas, ce n'est pas à nous de le dire, à mon sens. Nous, on avait une idée, une vision ; cette musique, ce line-up, cet équilibre. Et toute notre énergie était focalisée sur le fait de rendre cette musique la meilleure possible, efficace et aussi riche, dynamique et urgente à la fois. J'essaie souvent de me recentrer sur ce qui me pousse à faire de la musique, pour ne pas être mal influencé ou me sentir grisé et peut-être trompé par des compliments extérieurs. A cette époque-là, quand tu as l'étiquette Ross Robinson collée au cul, au milieu des disques d'or des groupes que tu as toi-même vénérés plus jeune, beaucoup de gens nous bourraient le cerveau, sur « à quel point » on était précurseurs. Et dans ce contexte, c'est difficile d'avoir la tête froide, de rester objectif, et de garder les pieds sur terre. Je suis enchanté de lire qu'on a pu inspirer des gens, et en tant que spectateur, je constate que les groupes « crossover » ou « originaux » en terme de line-up sont beaucoup plus présents qu'avant. Et j'en suis très content, ça donne une aération, une richesse. Mais je laisse les autres juger notre impact, notre musique, ou autre. Moi, je me concentre sur le fait de chanter, de crier, d'écrire des paroles et des mélodies.

Le communiqué que vous avez publié pour annoncer votre retour est signé T et M, est-ce que ça veut dire que MOPA est maintenant un duo ?

T. : Non, au contraire ! On ne passe pas de trois à deux mais de trois à quatre ! C’est juste qu’au moment du communiqué, nous n’étions que deux à être certains de reconstruire le groupe. Quelque temps après le communiqué, notre ancien batteur Yohan n’ayant pas la possibilité de reprendre du service, il nous a fallu chercher un autre batteur, que nous avons trouvé via Jordi. Par ailleurs, avant l’arrêt du groupe, cela faisait déjà un moment que je souhaitais ajouter du soutien dans le bas du spectre sonore. La reformation a été l’occasion de passer à l’acte avec l’arrivée de Galak, quatrième membre, au clavier-basse.

Peut-on s’attendre à un nouvel album prochainement ?

T. : Oui. Vous pouvez vous y attendre. C’était même une des principales raisons d’avoir reformé le groupe dans la mesure où nous avions composé un nouvel album à 90% avant la séparation de 2013.

L’épidémie COVID19 a complètement chamboulé votre retour sur scène, certaines dates sont décalées à l’année prochaine, est-ce qu’il y aura aussi de nouvelles dates pour compléter votre retour en live ?

T. : Non malheureusement pas. Le COVID a fait table rase des concerts de 2020, sauf peut-être ceux ayant lieu en septembre en Russie, Biélorussie et Ukraine. A l’heure où j’écris ces mots, on ne sait toujours pas si ces dates sont maintenues. Mais grâce à la détermination des organisateurs, certains festivals sont effectivement reportés à l’année prochaine, avec les mêmes affiches. Gros respect à eux pour ce tour de force ! Pour autant, cette période de confinement nous a permis de mettre en place des choses pour la rentrée, donc il faudra s’attendre à entendre parler de nous d’ici à l’automne…

Qu’avez-vous fait pendant le confinement ? Vous avez composé ou écrit ?

M. : J'étais au début comme un peu perclus. Je n'arrivais pas à me projeter dans la création artistique ou même dans le fait de chanter chez moi. Je me suis beaucoup recentré sur ma famille, mes proches, l'école à la maison pour mon fils, rendre cette expérience la moins traumatisante pour lui. Je me suis beaucoup occupé de notre potager. Des choses simples, et très concrètes comme dirait l'autre. Et puis je me suis dit que je n'allais pas rechanter sur scène avant longtemps. Plus longtemps que prévu. J'ai donc pris le parti d'écrire, vu que c'est mon autre moyen d'expression, et je me suis lancé dans quelque chose que je voulais faire depuis longtemps, en repoussant à chaque fois faute de temps. J'écris un roman. Afin de le rendre le moins autobiographique possible, c'est un roman policier. Il est quasi fini. Je vais donc maintenant devoir faire quelque chose que je déteste faire, c'est me vendre, et chercher un éditeur. Donc si vous en connaissez, renvoyez-les moi ;-)

A la suite de la sortie de Amen vous avez enchaîné une longue tournée un peu partout dans le monde, peux-tu nous donner une ou deux anecdotes qui t’ont le plus marqué personnellement ou qui ont le plus marqué le groupe ?

T. : Il y en a tellement ! On ne pourra par exemple jamais oublier notre tournée commune avec Will Haven pendant laquelle leur batteur s’est cassé le poignet parce qu’il s’était battu un soir… Notre batteur de l’époque avait alors appris et bossé leur set en quelques heures afin de le remplacer avant que le leur, par fierté, n’assure finalement le concert dans des souffrances extrêmes : il s’était scotché la baguette sur sa main pour ne pas avoir à la maintenir avec ses doigts ni son poignet… On se souviendra également la fois où on n’a pas pu passer la frontière ukrainienne parce qu’on n’avait qu’une photocopie de la carte grise du camion de location… on avait lu dans le Routard que la corruption était toujours présente là-bas, notamment à la frontière, alors on s’est pas démonté et on a remontré la photocopie avec des billets de banque dedans, mais ça n’y a rien fait. On devait absolument passer la frontière car outre la date ukrainienne, c’étaient toutes les dates qui suivaient en Russie qui étaient remises en cause si on n’arrivait pas à entrer, alors on a insisté en doublant ou triplant la mise. C’est à ce moment-là que les douaniers ont commencé à pointer leurs kalachnikovs et on a compris que ce n’était pas qu’une question d’argent… On s’est résolu à faire demi-tour, à faire une croix sur la date ukrainienne et à faire plus de quarante-huit heures de camion d’affilée pour contourner l’Ukraine et trouver une douane qui donne directement en Russie…

Si tu devais te retourner et changer quelque chose pour MOPA sur ces dix dernières années, qu’est-ce que tu changerais et ferais différemment ?

M. : Ha ha ! Compliquée, comme question ! Artistiquement, je ne changerais rien car s'il y a bien une chose qui a toujours été fluide chez MOPA, c'est l'artistique, et comment les choses avancent dans une salle de répét' ou en studio. Au niveau business et de notre implication dévorante sur tous les pans de développement du groupe, je ferais peut-être d'autres choix. L'éclairage de Ross Robinson nous a amené pas mal de vautours qui voulaient profiter d'un éventuel effet positif, et ne nous ont pas amené grand-chose souvent, à part nous prendre du fric et nous décevoir un peu ! Ç'a un peu biaisé les rapports avec les gens parfois, et on a eu du mal à discerner le vrai du faux dans ce qu'on nous disait.

Pendant ces six années de pause, certains membres de MOPA ont participé à d’autres projets musicaux ?

M. : Yohan a donc fait le choix de se consacrer à CATS ON TREES, qui ont eu la chance d'avoir un succès énorme en très peu de temps. Il a fait deux albums durant ce temps. De mon côté, j'ai toujours eu plusieurs projets, car j'ai toujours eu ce besoin d'exprimer beaucoup de choses, dans des esthétiques différentes. A l'époque c'était AGORA FIDELIO, en post rock, et j'ai pu faire deux disques de TERRE NEUVE COLLECTIVE pendant cette période. J'ai été aussi contacté par des talentueux musiciens du Conservatoire de Bordeaux pour faire un projet très hybride, entre musique baroque et hardcore, nommé CANCEL THE APOCALYPSE. J'ai eu la chance de faire un album avec le pianiste de jazz Rémi Panossian, qui est avant tout un ami. Et enfin, nous avons fait avec mes frangins de PSYKUP une réédition en 2016, un nouvel album en 2017 puis un live en 2018, avec à chaque fois des tournées un peu partout en France.

Amen est un album tellement ambitieux, fait avec vos tripes et qui semble tellement important à vos yeux, avez-vous l’envie et êtes-vous convaincus de faire mieux ou aussi bien pour un prochain album ?

T. : « Aussi bien » ou « mieux » ne sont qu’une histoire de subjectivité et d’interprétation. Ce qui est sûr, c’est que par définition, chaque album est unique, et Dieu sait qu’Amen est l’issue d’une aventure extraordinaire aussi bien en terme de créativité, de production que d’aventure humaine. Ceci dit, il s’agit d’un album sans concession qui comporte des morceaux que nous n’aurions pas forcément intégrés si nous en avions eu davantage à enregistrer.
Aujourd’hui, je ne compose plus du tout de la même manière : autant les compos d’Amen étaient des thèmes de piano de musique classique puisqu’à la base ces thèmes avaient été composés sans avoir pensé à les intégrer dans My Own Private Alaska, autant les nouvelles compos sont optimisées pour être jouées « en groupe » avec une structure qui correspond plus à des standards du rock que des thèmes de musique classique menant à des morceaux de huit minutes.

Si tu avais le choix, avec quel producteur aimerais-tu travailler ?

M. : Pour ma part, il y aurait deux écoles. J'aimerais bien voir ce que c'est que de faire un truc avec Rick Rubin. C'est un type très ouvert, et qui a aussi des visions très précises et avant-gardistes sur les artistes. Il a vu le génie en JOHNNY CASH avant beaucoup de gens. Il peut autant faire SLAYER que SAUL WILLIAMS. Il a le goût aussi pour des choses urgentes et plus rough comme INTERNATIONAL NOISE CONSPIRACY. Et puis évidemment Steve Albini, car c'est un peu l'école inverse, avec le côté mainstream en même temps. In Utero, un des meilleurs albums du monde, c'est lui, et l'ambiance y est incroyable et intemporelle. Il a aussi fait autant du NEUROSIS que le Surfer Rosa des PIXIES. Et même les excellents CHEVREUIL !

Avec quel groupe aimerais-tu jouer en première partie, voire même faire une tournée avec ?

T. : NIRVANA ! Mais je crois que ça va être compliqué. Sinon on s’aperçoit qu’on a beaucoup de point de commun avec des groupes comme CULT OF LUNA ou AMENRA dont l’esthétique et la portée musicale nous parlent. Ce sont des groupes qui ont su faire de l’art avec leur musique. Il y a une ambiance, une thématique, une portée qui est à la fois importante, grave, classe et extrême. Ce sont des éléments qui nous parlent. Ce serait tellement bon de pouvoir partager tout ça avec ces groupes-là !

Quels sont les albums sortis récemment que tu as aimés ? Et qu’est-ce que vous écoutez de manière générale chez MOPA ?

M. : Forcément une partie de musique dure, surtout dans le camion depuis qu'on a Jordi Pujol derrière les fûts, on a pu découvrir de nouvelles pépites comme SVALTBARD ou DAUGHTERS. Pas mal d'électro aussi avec l'influence de Mathieu Laciak, notre homme pour le clavier-basse sur scène. De PERTURBATOR à GESAFFELSTEIN. Mais aussi des trucs de vieux, que moi j'adore, de GERAND MANSET à WILLIAM SHELLER.

Pour finir, un petit mot pour vos fans ?

M. : Merci de leur soutien au fil de ces années. Je suis retombé sur des témoignages de fans dont je n'avais pas connaissance, récemment, des trucs incroyables, des gens d'autres continents qui te portent aux nues, un gars qui se fait tatouer un énorme « Reaching Anchorage », des jeunes qui disent avoir été « sauvés » à une période de leur vie par l'émotion qu'ils arrivaient à extérioriser grâce à notre musique. Toutes ces choses-là m'émeuvent énormément. Ça donne envie de continuer à avancer, de procurer des choses aux gens, puis de partager ces moments sur scène.

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