Hogarth - Barbieri / Marillion

Interview date

21 Janvier 2012

Interviewer

Didier

I N T E R V I E W

Interview Steve Hogarth (par téléphone)


Bonjour Steve et merci de nous accorder un peu de ton temps, nous sommes le webzine français AuxPortesDuMetal.com

Bonjour Didier

Parlons d'abord de ton nouvel album en collaboration avec Richard Barbieri, qui sort bientôt, comment ce projet a t-il démarré ?

Il y a environ deux ans, j'ai reçu un email de Richard qui me demandait si c'était quelque chose qui me plairait. J'ai répondu immédiatement "oui, bien sûr, mais je ne sais pas quand". Parce que j'étais en tournée, et très pris par Marillion depuis, ... depuis qu'on s'est rencontré en fait [rires]. Donc je savais que nous allions le faire mais je n'avais pas une minute à moi. Alors quand Richard a commencé à envoyer par email des morceaux au format mp3, je les gravais sur CD et les écoutais dans la voiture en allant au studio, ou en tournée avec Marillion. Et finalement j'ai trouvé un peu de temps, l'été d'avant et j'ai commencé à enregistrer des voix et à bosser sur "Red Kite". Et l'année dernière en août, Marillion a fait un break et j'ai passé le mois à enregistrer les voix. Au final ce fût assez rapide à partir du moment où j'ai commencé à travailler dessus. J'ai découvert que tout ce que j'essayais de faire fonctionnait parfaitement bien. Et donc on a gardé le même mode de fonctionnement. Il m'envoyait des mp3 d'instrumentaux et j'écrivais des paroles et expérimentais avec les voix, cherchant où les placer, ajoutant des effets, décidant où les placer dans le champ stéréophonique. Je décidais de tout ça et lui renvoyais, toujours par email, en lui demandant : "Qu'est ce que tu en penses ?". Et par chance il a aimé tout ce que j'ai fait.

Donc Richard a écrit la musique et toi les paroles et les mélodies vocales. Est ce que ce fut plus simple qu'avec un album de Marillion, qui est un groupe ?

Holà, infiniment ! Parce que d'abord, on me fournissait des instrumentaux quasiment terminés musicalement et que j'ai à peine retouchés dans les arrangements. Avec Marillion, le groupe improvise dans une salle, parfois pendant des années. Et j'essaye des idées comme ça pendant des fois 30 secondes. Et puis bien plus tard, on prend tous ces bons accidents musicaux, qui ont eu lieu pendant les sessions improvisations, et on recommence tout, en essayant d'assembler des morceaux. Donc écrire des choses pour Marillion prend un temps fou, et surtout de mon point de vue, car souvent j'ai déjà une grande partie des paroles écrites avant que le groupe commence les improvisations. Donc je dois parfois attendre deux ans pour que la musique soit prête. Là, ce fût bien plus rapide, et j'ai aussi trouvé la musique que m'envoyait Richard très inspirante, ça m'a vraiment inspiré des idées immédiatement. Je me suis senti libre de travailler, je travaillais complètement seul. Nous n'avons jamais été dans la même pièce, ce qui est une étrange façon de faire un album [rires].

Donc vous n'avez jamais travaillé ensemble physiquement, seulement à distance ?

On se rencontrait juste pour échanger des fichiers et ensuite pour déjeuner ou diner, nos meeting étaient tout autant sociaux que créatifs. Nous avons quelques musiciens, donc là bien sûr, nous étions réunis au studio, quand ils enregistraient.

Y a t-il un thème dans les paroles de l'album ou bien ce sont des chansons indépendantes ?

Au niveau des paroles, ce sont des chansons indépendantes. Mais il y a les thèmes de l'amour et de la peur, les deux émotions de base, qui reviennent dans de nombreux morceaux.

Et qui donc est cette “beautiful face” qui revient aussi plusieurs fois dans l'album?

[rires] Je ne peux pas le révéler, mais c'est une femme que j'ai connue il y a un bout de temps. Elle était superbe, mais elle le savait et était très ambitieuse. J'ai rencontré par hasard aussi sa fille, et bien sûr, au cours des vingt et quelques années qui se sont écoulées depuis notre première rencontre, son visage a vieilli, et elle n'est plus aussi magnifique. Et elle a perdu cette force qu'elle avait. Sa fille, elle, est aussi belle, mais elle est une personne charmante ce qui m'a amené à la conclusion : "ça n'est pas l'arme qui fait le mal, mais la main qui la tient", ce qui est devenu le titre de l'album.

Côté production, le résultat est somptueux. Comment avez vous travaillez pour arriver à un tel résultat ?

D'abord, disons-le, Richard est un génie. C'est bien pour ça que je voulais travailler avec lui. Il est incroyablement doué, pas juste pour programmer, mais comme architecte sonore. Et j'ai fait très attention de toujours rester dans le paysage sonore qu'il avait conçu, et de placer les voix toujours en phase avec ce qu'il composait. Ensuite nous avons mixé avec Michael Hunter, qui est aussi l'ingénieur du son et producteur de Marillion.

Richard semble être une puriste du son, après tant d'années passées avec Steven Wilson, ça n'est pas une énorme surprise...

Même avant ça, quand il était dans Japan et même bien avant dans les années 80, j'écoutais Tin Drum, qui sonnait fabuleusement bien sur albums.

Richard et toi semblez très complémentaires, pouvons nous attendre d'autres initiatives de ce genre ?

Je crois que nous avons tous les deux la volonté de rester amis. Nous avons même été comme des frères pendant ces dix dernières années, même si nous n'étions pas souvent ensemble. Nous nous comprenons au delà de la musique, donc je pense qu'il y a de fortes chances que nous retravaillions ensemble. Mais bon, on ne sait jamais. Le futur n'existe jamais vraiment , seul le présent compte...

Aucun des membres de Marillion n'a participé à l'album. Une raison en particulier ?

Nous n'avions pas vraiment de basse. On en a juste ajouté sur "Naked", mais nous voulions une contrebasse pour ça. et Richard connait un gars, Danny Thomson, qui est une vraie légende. Il a joué avec Tim Buckley, Talk Talk, et Kate Bush plus récemment. Ca n'aurait pas eu de sens de demander à Pete Trawavas de jouer de la contrebasse alors qu'on avait un Danny Thomson, d'autant plus que Pete ne joue pas de contrebasse. Au niveau batterie, j'ai envie de dire que Ian Mosley, aurait été un meilleur choix sur "Only Love Will Make You Free", mais il n'était pas dispo à l'époque. Et Richard voulait faire venir Chris Maitland, qui a été le batteur d'origine de Porcupine Tree, et je pense sincèrement que Chris a fait un super boulot. Mais j'aurais bien aimé entendre Ian là dessus.

Pensez vous pouvoir jouer cette musique un jour sur scène ?

Il est tout à fait improbable que j'essaye de jouer cette musique tout seul, car la nature même de cette musique est impossible à rendre sur un simple piano. Il y a tellement d'éléments qui font que la musique existe, c'est pas tout à fait une musique normale que tu peux jouer sur un piano ou avec un groupe. Mais nous adorerions nous attacher ensemble à recréer cette musique sur scène. Richard à déjà quelques idées, mais ça nécessiterait de nombreuses répétitions et pas mal de réflexion. Il y a aussi de nombreuses voix dans cette musique, donc il faudrait ajouter trois ou quatre chanteurs pour le faire sur scène. Et le dernier problème reste que je suis pris toute l'année 2012 et une partie de 2013, donc trouver un créneau est très compliqué. Et quand je serais enfin dispo, Richard sera en studio avec Porcupine Tree. Bref, on voudrait le faire tous les deux, mais c'est juste une question de trouver le bon moment, ça risque de prendre plusieurs années.

Ce soir, tu joues à Paris en solo. En quoi un show de Steve H est-il si différent d'un concert de Marillion ?

Ca ne pourrait pas être plus différent à vrai dire. Car l'idée des concerts H Natural au départ était de voir si les gens seraient prêt à payer pour être dans une salle avec moi. Et si tel était le cas, ce qui est arrivé, il fallait décider ce qu'on allait faire ensemble. Je voulais que cela soit une sorte de collaboration entre le public et moi. Pas uniquement musicale. Nous pouvions discuter. Je voulais que ça soit juste un évènement dans lequel nous puissions discuter et apprendre à nous connaitre. Mais ce qui s'est passé au final, c'est que j'ai découvert que les gens préféraient m'entendre parler plutôt que de parler d'eux mêmes. Donc j'ai fini par faire toute la conversation. Les gens me crient des demandent donc parfois je joue des chansons que je ne connais pas vraiment, et j'en joue que la moitié. L'idée c'est de laisser venir. C'est à l'opposé de Marillion où nous montons sur scène avec énormément de musique répétée et programmée, et pour lesquelles nous ne pouvons pratiquement rien changer car c'est dans les machines. Avec Marillion, changer quelque chose c'est un peu comme vouloir changer de direction avec un paquebot, ça prend du temps et du travail. Dans les H Shows c'est un peu comme être en équilibre sur une tête d'épingle, ça peut partir dans n'importe quelle direction, et c'est ce qui se passe la plupart du temps.

Y a t-il d'autres dates de prévues ?

Non, je n'en fait pas très souvent. Je me fait un peu prier pour les faire [rires], mais avant que j'ai le temps de dire ouf, ils m'en programment une, et je dois la faire. Je suis trop occupé pour en faire en ce moment. J'aime beaucoup les faire, mais il y a très peu de chances que j'en fasse d'autres en France.

Parlons un peu de Marillion. Comment est ce que ça se passe pour l'album à venir ? Avez vous déjà un titre, une date ou bien quelque chose dont tu peux nous parler ?

Nous avons un titre mais je ne peux pas encore l'annoncer publiquement. Ca sera fait bientôt. Ca s'annonce bien. Nous nous sommes réunis fin décembre pour écouter ce que nous avions, parce que nous étions en tournée et nous sommes des gens qui oublions tout dès qu'on part en tournée ne serait-ce qu'un mois. Et donc, après avoir tout écouté je dois dire que j'étais très agréablement surpris et très motivé. Je pense que nous avons huit ou neuf très bons morceaux. Alors nous allons nous retrouver le 30 janvier au studio de Peter Gabriel à Bath, pour y séjourner et travailler ensemble une semaine et essayer de terminer les arrangements musicaux. Ensuite, nous enregistrerons tout ça jusqu'a l'été, et avec un peu de chance, nous serons prêts pour une sortie à l'automne, sous la forme d'un album simple, pour l'instant, mais on ne sait jamais...

Une tournée suivra cette sortie ?

Même avant cela, en fait. Nous avons des dates prévues aux USA en juin, et en Amérique du Sud en octobre, en Scandinavie en juillet et en septembre au Royaume-Uni, donc je pense que nous devrions nous pointer en France soit en juillet soit en novembre, mais nous viendrons,c'est certain.

A un moment, en écoutant "Red Kite" sur un casque haute fidélité, j'avais l'impression de voir ce cerf-volant. C'est un morceau fascinant mais je me dis que on aurait pu tout aussi bien le trouver sur un album de Marillion. Comment décides-tu ce genre de choses ?

C'est simple. Ils peuvent aller n'importe où. Il faut juste arriver à sentir si un morceau de musique convient bien à des paroles, et essayer. Et là, voir si ça colle. En général, on peut le dire très vite. Et c'est ça qui a été super avec la musique de Richard, c'est que tout ce que je tentais fonctionnait parfaitement bien quand je l'essayais. En fait, certaines de ces paroles comme "Crack", "A Cat With Seven Souls", sont des paroles que j'avais déjà essayées dans le passé quand Marillion improvisait, et qui n'avaient pas collé et que j'avais gardé sous le coude en attendant de leur trouver un foyer. Et Richard m'a fourni cela. Par contre pour "Red Kite", j'ai écrit les paroles en écoutant la musique.

Racket Records, le label que Marillion a créé il y a déjà quelques années, semble être un réel succès. Après ces années, êtes-vous convaincus que c'était la bonne approche ? Et est-ce vraiment un succès du point de vue des artistes ?

Pas seulement pour les artistes ! Nous gagnons tous les cinq plus d'argent chaque année que nous n'en avons jamais gagné quand nous étions chez EMI et que nous vendions trois-cent mille albums. Nous n'avons pas connu la crise [rires]. Nous avons eu beaucoup de chance et tout s'est bien passé pour nous. Nous sommes maintenant totalement libres d'un point de vue créatif. Nous sommes libres d'un point de vue légal et commercial et nous avons ainsi le contrôle total de nos affaires et de notre art. Bien sûr, nous avons aussi nos incroyables fans, qui sont comme une grande famille qui pour poussent et rendent tout possible. Je suis vraiment un homme comblé.

Qui a trouvé le nom du label, qui sonne comme une blague ?

[rires] C'en était une, oui, et j'ai trouvé ce nom. Il a une triple signification. D'abord notre studio était à un endroit appelé Lawn Farm. Un Lawn est une magnifique pelouse dans les maisons à la campagne, et aussi un terme utilisé pour les courts de tennis comme Wimbledon. Donc on est parti sur Racket Club, comme ça, ça faisait un peu club de tennis huppé. Mais en plus le mot racket à plusieurs significations. L'une d'elle est un bruit désagréable, comme celui qu'on entendait sans arrêt sortir du studio. Une autre pour qualifier des affaires louches ou illicites. Enfin en argot, c'est un mot qui veut dire la drogue et plus particulièrement la cocaïne. Donc voilà, ça vient d'un peu tout ça.

Vous êtes très innovants sur ce label pour offrir de nombreux produits régulièrement. Par exemple, vous proposez les enregistrements de vos concerts seulement quelques jours après la date du concert, est-ce que ça a eu du succès ? Et est-ce que c'était difficile à réaliser ?

C'est assez facile à produire en fait, depuis la table de mixage. C'est facile à enregistrer, et ensuite il reste plus qu'à le charger sur nos serveurs. Je le faisais déjà pour mes Natural H Shows. Et en général, les gens qui sont venus au concert l'achètent en souvenir, donc on en vend quelques centaines.

Penses-tu que vous pourrez proposer des DVD des concerts sur le même principe ? Ou bien est-ce trop compliqué ?

Tout est possible dans le futur car la technologie évolue tellement rapidement juste devant nos yeux. Donc ça deviendra une option.

Pourquoi n'y a t-il pas plus de groupes qui se libèrent comme ça de leur label ? Est-ce toujours compliqué aujourd'hui ?

La plupart des musiciens veulent faire de la musique et veulent des gens autour d'eux pour gérer le reste. Mais c'est assez rare de pouvoir confier tes finances à quelqu'un qui au final ne va pas te réclamer plus d'argent qu'il ne devrait [rires]. Donc il y a un prix à payer. Les musiciens sont rarement des hommes d'affaires. Et je suis loin d'en être un moi même, pour être honnête. Mais nous sommes un groupe de personnages pas banals au sein de Marillion. Chacun d'entre nous apporte ses propres compétences. Par exemple, Ian Mosley, notre batteur, s'occupe de notre argent. Mark Kelly, s'intéresse à la technologie et à l'innovation. En plus, nous avons Lucy Jordache, qui travaillait chez EMI, et qui bosse pour nous maintenant, et elle est très forte niveau marketing au sein de notre courant musical. Evidemment nous ne sommes pas un groupe pop, donc c'est pas une question de passages radio ou TV, mais un marché très différent dans lequel nous évoluons. Et moi, ma force est plutôt dans les paroles, les mots, et les aspects plutôt spirituels. Donc, à nous cinq, nous couvrons les compétences de bases. C'est vraiment un travail d'équipe...

Merci Steve, je te laisse le mot de la fin pour nos lecteurs...

Beaucoup d'amour pour tout ceux qui me lisent, nous espérons revenir en France cette année.


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