Adagio

Interview date

11 Novembre 2011

Interviewer

Didier et PhilippeC

I N T E R V I E W

Interview Kevin Codfert (en face à face)


Salut Kevin, tu es ici avec Myrath, raconte nous un peu ton rôle avec eux sur cette tournée ?

Pas que sur cette tournée. Alors je vais reprendre l'histoire depuis le début, je vais essayer d'être pas trop long. Donc, en fait, on se produisait avec Adagio, en première partie de Robert Plant, dans l'amphithéâtre de Carthage en 2007, et avant nous il y avait ce groupe, Myrath, que je ne connaissais pas et qui s'appelait Extasy à l'époque. Je les regarde jouer, le concert finit et là, je me dis qu'il y a vraiment quelque chose de particulier dans leur musique, quelque chose de complètement différent et que je suis sûr qu'on peut développer le projet. Deux semaines après, le manager du groupe, Ahmed, qui est aussi le père du guitariste, me contacte et me demande si ça m'intéresse d'enregistrer le groupe, car il sait que je fais de la production. Je dis : pas de problème, je fais mes valises pour Tunis et je pars enregistrer le premier album de Myrath dont je suis simplement le producteur exécutif, c'est à dire, que je prends les pistes, je mixe et je conseille, c'est tout. On sort ce premier album, "Hope", chez Brennus. Et là, ce qu'il se passe en fait, c'est qu'on tire mille exemplaires qu'on vend quasiment de la main à la main sans aucune promotion, rien du tout. Les mille sont écoulés, on en retire mille, ils sont encore écoulés, je monte le shop en ligne et il commence à y avoir un engouement pas possible. On se dit : bon, faut qu'on en fasse un deuxième et qu'on trouve une maison de disques avec les reins un peu plus solides. Sachant que Alain de Brennus est absolument fantastique mais qu'il n'a pas une structure assez grosse pour pouvoir placer en magasin, en FNAC, en Virgin, partout et à l'étranger. Il marche surtout avec un système de newsletter et ça représentait une limite au développement. On en 2010, "Desert Call" se prépare et là, je m'investis un petit peu plus, je leur dis qu'il faudrait mettre encore plus d'influences arabes dans leur musique, je produis l'album, on intègre du mezoued, des violons arabes, du dof, du derbouka, bref tout ce qui fait le côté oriental typique de chez eux. XIIIbis est intéressé par l'album, on signe chez XIIIbis. Là, les ventes sont bonnes, super chroniques, personnellement j'avais jamais lu des chroniques comme ça, c'était dithyrambique. Les chiffres augmentaient, en progression constante, la fanbase qui grossit, et jusqu'à cette année avec "Tales Of The Sands", où on s'est dit : on va faire quelque chose un poil moins progressif. Je ne leur ai jamais imposé quoi que ce soit, ça n'est pas mon rôle, je ne fais pas partie intégrante du groupe, je suis là comme conseiller et comme producteur mais je leur ai laissé carte blanche, comme toujours pour faire leur musique, et je suis passé un peu après pour formater, en proposant : tiens ici il faudrait un passage comme ça, ça pourrait plaire, sachant qu'ils n'auront pas le recul du ressenti de l'occidental typique. Donc je les ai conseillés. On a trouvé un super mec pour faire l'artwork, qui est magnifique. On est monté en Suède pour faire une coproduction exécutive avec Fredrik Nordström, donc on l'a mixé à deux et, cerise sur le gâteau, on choppe Jens Bogren, pour le mastering. Donc, voilà l'histoire de Myrath et mon rôle est celui de producteur, un peu financier, merchandiseur, je tiens le shop...

Tu es content du résultat ?

Je suis absolument ravi du résultat, parce que je pense qu'on a réussi enfin à trouver le mélange parfait, entre pas trop de prog, pas trop d'oriental, tout en ayant ce son particulier. Ce n'est pas une formule. En musique, il n'y a pas de formule mathématique, mais c'est un ressenti, ça a l'air de fonctionner donc on va continuer sur cette voie là.

Commercialement, ça semble bien marcher aussi ?

C'est simple, le lendemain de la sortie, on était en rupture. Donc ça semble bien marcher. Là, hier, ils ont joué à Milan. Au niveau du merchandising, on a fait un carton. Du coup, aujourd'hui, j'ai amené du merch en renfort car on va être sold out rapidement. Exponentialité totale, sur facebook, le trafic a été multiplié par six en trois mois, c'est vraiment un truc qui est en train de prendre comme rarement vu.

Perso j’ai adoré, je parlais dans ma chro de la profondeur du son, vous avez ajouté des effets, racontes nous un peu ca ?

En fait oui. Pour expliquer à des non spécialistes du son, disons que j'ai fait appel à Fredrik Nordström qui n'était pas prévu au départ pour avoir sa vision des murs de guitares typiquement à la suédoise. Il est l'inventeur du "Fredman Style", qui est une technique de prise de son avec des placements de micros bien particuliers. Donc déjà, tu as des sons de guitare qui déchirent. Moi j'ai amené une expertise un peu plus douce, un peu plus prog, dans laquelle tout le monde est à peu près à la même hauteur, et ce compromis des deux a fait quelque chose d'à la fois puissant et à la fois riche au niveau des arrangements.

Ne penses-tu pas que Myrath, avec trois albums aussi aboutis, pourrait être en tête d’affiche ? Que leur manque t-il encore ?

Quand tu pars en tournée pour la première fois en tête d'affiche, tu ne sais jamais sur quoi tu tombes. C'est très difficile de connaitre les prévisions, si tu vas remplir les salles ou pas, combien de salles par pays il faut faire, donc c'est vraiment se lancer dans le vide. C'est vraiment là qu'un groupe passe de l'amateurisme au professionnel. C'est une étape assez périlleuse, qu'on va tenter vite, parce que si la croissance continue comme ça, on peut tenter ça courant avril-mai, en sachant qu'il y aura déjà quatre dates en France en février avec Tarja. On va voir ce que ça donne et après, voilà, on fait le grand saut et on se lance en tête d'affiche dans des salles naturellement bien plus petites.

En Europe ?

Ca plait beaucoup en Angleterre, en Allemagne, en Espagne et en Italie, donc ça serait déjà sur ces quatre pays... et au Maghreb naturellement, car là bas c'est la folie, ils jouent et t'as cinq ou six mille personnes, pas des stades mais presque.

Outre Myrath, tu as collaboré sur le solo de Stéphan Forté. Comment s’est passé ce projet et quel a été ton rôle exactement, car il semblerait qu’il soit double ?

Triple même ! J'ai fait les pianos, les batteries et la production. En fait, je joue moyennement de la batterie et donc j'ai eu recours à des programmations pour exprimer ce que j'avais en tête mais pas la technique pour le faire. C'est des plans assez complexes que je ne maîtrise pas mais que je visualise et que je peux écrire sur partition. C'est tout programmé mais jouable par un humain.

Te sens-tu plus à l’aise en tant que producteur ou en tant que musicien au final ?

Les deux me plaisent. Il faut aussi savoir que vivre de la musique en France c'est un peu galère et heureusement qu'il existe le statut d'intermitent du spectacle, qui va disparaitre bientôt je pense, vu les restrictions budgétaires actuelles de l'état. J'ai été obligé, comme tous les musiciens, de faire de la variété au début de ma carrière, de me taper cinquante ou soixante concerts par an, à faire des reprises pour arriver et rentrer à la maison, fatigué, incapable de jouer de mon instrument. Parce que, après cinquante ou soixante concerts, t'es défoncé. Donc j'ai fait ça pendant six ou sept ans, et puis je me suis dit que c'était plus possible et donc j'ai arrêté cette activité et perdu du même coup 90% de mes revenus. Il fallait à tout prix que je trouve un moyen de vivre, et comme ça faisait un moment que je m'intéressais à la production, que je travaillais ce côté-là, je me suis professionnalisé à ce moment-là. De toute façon, il vaut mieux, quand tu travailles dans un groupe, savoir faire de ton instrument et aussi savoir produire parce que des contrats de production dans les maison de disques, ça n'existe plus, c'est des contrats de distribution, donc soit tu n'y connais rien et tu te ruines, soit tu le fais toi-même.

Tu arrives à trouver le temps de jouer du piano, ça s'entretient tout ça, j'imagine ?

Oui ça s'entretient. Tu te lèves le matin, tu fais une heure de gamme, ensuite tu fais de la prod, ensuite de l'enregistrement, t'arrêtes pas...

Te sens-tu un rôle de révélateur de talents comme tu l'as fait avec Myrath ?

Oui c'est mon métier, mais j'ai tellement de trucs en cours que c'est pas évident. Et puis, Myrath me prend 60% de mon temps aujourd'hui, c'est trois ou quatre heures de boulot par jour. Car après avoir fini la prod', tu fais des interviews, du développement à l'étranger, du marketing, du merchandising, la tournée,...

As-tu toi aussi des idées de projets solo ? D’autres collaborations ?

Ca fait longtemps que j'ai envie, et j'ai des trucs dans les tiroirs. Par contre, je ne sais pas si je ferai quelque chose de complètement instrumental ou chanté. Si tu veux, les albums instru à la guitare c'est assez vivant, mais au piano y'en a des réussis mais y'en a surtout des ratés, c'est pas évident, et même par des grands artistes. Donc si je fais un truc solo, ça sera sûrement un groupe parallèle.

Sinon, où en est Adagio ?

Eh bien, on a un nouveau chanteur puisqu'on a recruté Kelly Carpenter avec qui on avait déjà travaillé au Japon, et avec qui on voulait rejouer depuis un certain temps. Enfin, on a l'occasion d'avoir un chanteur "full time" dans le groupe, il a un talent monstre, donc on est bien contents. On a déjà enregistré quatre ou cinq titres, il y en aura quatre ou cinq autres d'ici fin décembre et doucement, on enregistrera ça mi-février pour une sortie mi-2012 ou fin 2012.

Avec les bonnes critiques de votre dernier album "Archangel In Black", la barre est haute non ?

Oui, mais de toute façon, au début, tu te fais toujours critiquer. Par exemple, quand on a fait "Underworld", on a été critiqué par les fans de Metal non prog, qui disaient que c'était n'importe quoi, votre CD il saute, on comprend rien, tout ça parce qu'il y avait un peu trop de mesures asymétriques, donc on s'est privé de 90% du marché parce qu'on avait fait trop compliqué. Et pourtant, on avait fait ce qu'on voulait, on a fait ce qu'on aimait. Mais si tu continues comme ça, tu coules. Tu ne peux pas forcer les gens à aimer les choses qu'ils ne comprennent pas. Donc faut simplifier un peu, c'est ce qu'on a fait avec "Dominate". Pour "Archangel In Black" on a vraiment réfléchi à un compromis entre ce qu'on aimait et quelque chose d'un peu plus "mainstream" dans le sens où il fallait arranger les parties progressives pour qu'elles soient compréhensibles. Le nouvel album sera plus progressif que "Archangel", on en a marre de faire des compromis donc après, on verra les ventes, mais bon ça à la limite... on n'en a plus rien à faire maintenant.

On entend toujours les gens se plaindre des ventes de disques, c'est vraiment plus possible ?

Non c'est plus possible. Le marché perd 40% par an. Là où tu pouvais faire, il y a dix ans avec une promo moyenne,  quinze ou vingt mille ventes en France, avec la même promo t'en vend six ou sept cents aujourd'hui. Donc un album qui cartonne en France c'est mille ou mille cinq cents albums. Et pour les majors, Universal, Sony, Warner qui mettent des millions, une excellente vente c'est trente mille albums. Où c'était trois millions il y a dix ans encore. T'enlèves deux zéros. Tu ne peux plus vivre de la vente de disques. Faut les tournées, le merchandising...

Merci et espérons que le concert aura lieu ce soir...

Oui ça commence à vraiment craindre là, on va voir...


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