Robert Culat

Interview date

30 Juin 2010

Interviewer

Didier

I N T E R V I E W

Interview Robert Culat (par mail)


Merci d'avoir accepté cette interview pour notre webzine auxportesdumetal.com. Je pense que de nombreux métalleux te connaissent mais pourrais-tu te présenter en quelques mots? 

Je suis originaire de Marseille où je suis né en 1968 dans une famille non-croyante. C’est à l’âge de 13 ans que je me convertis au catholicisme en demandant la première communion et le catéchisme pour m’y préparer. Ma vocation de prêtre remonte au moment même de mon adhésion à la foi. Mais ce n’est qu’en fin de 3ème que j’en parle à mon père et à mon curé. Après mes années de lycée à Cavaillon en section littéraire, j’entre au grand séminaire d’Avignon âgé de 18 ans pour le premier cycle d’études. Ensuite une année de coupure avec le service militaire en Allemagne. De retour mon évêque me demande de poursuivre mes études à Rome dans le cadre de l’université pontificale Grégorienne (jésuites). J’y achève mes études en 1994 avec une licence en philosophie. J’ai été ordonné prêtre pour le diocèse d’Avignon en 1993. J’ai eu de nombreux ministères dans le Vaucluse (curé et vicaire, aumônier de l’Action catholique des femmes etc.), mais beaucoup de ces années ont été au service des jeunes dans les collèges et les lycées, et aussi dans le scoutisme. Actuellement vicaire à Carpentras, je me prépare à une nouvelle mission à l’étranger au service des français de Copenhague.

Tu as découvert le Metal plutôt sur le tard. Que fais-tu aujourd’hui pour combler ce retard ?

Comme tu peux l’imaginer je ne passe pas mon temps à chercher de nouveaux groupes. Par contre lorsque j’en ai l’occasion je vais à un concert, ce qui peut être l’occasion de découvrir justement de nouveaux groupes (par exemple Solstafir, Negura Bunget). C’est surtout par le bouche à oreille que j’agrandis ma culture Metal et que je découvre parfois de petites merveilles dans ce style. Vu que je connais pas mal de fans très au courant de l’évolution de la scène, ce qu’ils m’en disent me satisfait et je ne cherche pas à aller plus loin.

Pour que les lecteurs te situent, quels sont tes groupes préférés ?

J’ai toujours peur d’en oublier bien sûr ! Commençons par les plus connus : OPETH / PARADISE LOST/ EMPEROR / PRIMORDIAL / SATYRICON / ENSLAVED / WINDIR / MY DYING BRIDE / SHAPE OF DESPAIR / KATATONIA/ STRAPPING YOUNG LAD mais aussi : DORNENREICH / AGALLOCH / EVILFEAST / NAGELFAR / SHINING/ LIFELOVER/ SOLSTAFIR / NEGURA BUNGET / SILENCER / MONOLITHE...

Pourquoi avoir écrit ce livre sur le Metal ?

Tout simplement parce qu’en comparant mon expérience personnelle dans ce milieu (depuis 1994) et ce que j’en entendais dire dans la population et parmi les chrétiens je constatais une énorme différence. Ce livre est donc d’abord le partage d’une expérience au contact de nombreux métalleux de France. Mais je voulais aussi qu’il ait un aspect « scientifique », le plus objectif possible, d’où mon sondage parmi les métalleux français de 2000 et les résultats de cette enquête de type sociologique via de nombreuses statistiques (c’est toute la première partie de L’âge du Metal). Dans ce livre j’ai voulu donner la parole aux métalleux pour qu’eux-mêmes puissent dire avec leurs mots ce qui les attire dans cette musique et cette culture, ce qui fait que pour eux le Metal est bien plus qu’un simple divertissement mais bien une passion à part entière. D’où dans la première partie de nombreuses citations qui sont tout aussi précieuses que les statistiques ou mes propres commentaires des résultats obtenus auprès de 552 métalleux. Le but du livre est clair : instaurer si possible un dialogue entre deux mondes qui semblent s’ignorer voir se haïr : les chrétiens et les métalleux. En n’oubliant jamais que parmi les métalleux il y a plus de chrétiens qu’on ne le pense habituellement. Et même en tant que prêtre je ne constitue pas un cas unique en France et dans le monde. Je connais d’autres prêtres français fans de Metal. Mon livre est donc un livre «passerelle » ou « pont » pour relier entre elles les rives de la croyance et celles de la musique Metal, avec pour idée directrice le dialogue au lieu de la condamnation (référence au pape Paul VI).

Penses-tu que les métalleux soient des âmes à sauver ? A ramener dans le droit chemin ? A empêcher de continuer sur cette voie ?

En tant que prêtre je pense que le Christ est venu apporter le salut à tout homme. Tout homme est appelé à connaître le véritable visage de Dieu révélé par Jésus-Christ, à vivre ici-bas le bonheur d’être croyant et après sa mort la joie de vivre en Dieu. L’Evangile a donc aussi quelque chose à dire aux métalleux. Après je ne parlerais pas de « ramener dans le droit chemin » ou d’ « empêcher à continuer sur cette voix » les métalleux. Car je connais pas mal de catholiques métalleux ou de métalleux catholiquesƒº. La musique Metal n’est pas forcément un obstacle à la rencontre avec Dieu. Le salut de l’âme concerne toute la personne dans toute sa vie. Encore une fois qu’on soit métalleux ou pas cela ne change rien au fait que le Christ vient apporter à tous et à chacun une libération que nous sommes libres d’accepter ou de refuser. Même le black Metal qui se présente souvent comme un violent refus des religions n’est pas en soi un obstacle infranchissable sur ce chemin du salut. Je connais des fans de black qui ont vécu un chemin de conversion et de rencontre avec Dieu assez impressionnant. L’amour de Dieu est assez puissant pour ne pas se laisser arrêter par une musique. Dieu regarde notre personne, notre cœur, pas la musique que nous écoutons. Je ne pense pas que nous serons jugés sur la musique que nous écoutons mais bien sur nos actes concrets (cf. Matthieu, chapitre 25, versets 31-46). Je tiens à dire que je n’ai pas le pouvoir de convertir qui que ce soit en tant que prêtre. C’est l’œuvre de Dieu. Simplement je suis un témoin de la puissance de la foi chrétienne dans une vie d’homme. Du mieux que je le puis. Un jour un métalleux m’a dit : « je ne croyais pas avant de t’avoir rencontré qu’on puisse être aussi heureux que toi ! ». Je ne lui avais fait aucun sermon ni catéchisme. J’étais simplement chrétien et heureux de l’être. C’est là l’essentiel du témoignage qui laisse toujours libre la personne de le recevoir ou de l’accueillir.

Un parent d'élève métalleux a assisté à l'une de tes conférences dans une école du Vaucluse, et malgré le fait qu'il ait apprécié ton livre, il avoue avoir été plutôt surpris et même "agacé" par un discours caricatural et stigmatisant sur les jeunes et le Metal, qui a laissé les autres parents sous le choc. Jouerais-tu une sorte de double jeu ?

Je suis assez étonné d’entendre cette remarque. Car d’habitude les personnes qui assistent à mes conférences me trouvent trop bienveillant envers le Metal… Je pense que cette personne a dû assister à l’une des nombreuses conférences que le père Benoît Domergue donne sur le sujet. A vérifier auprès de la personne qui t’a relaté cet événement… En effet je ne contredis pas dans mes paroles ce que j’ai écrit dans mon livre, même si j’adapte mon discours en fonction du public bien sûr.

Dans le chapitre qui clôt l'analyse des réponses du questionnaire tu dresses un portrait robot. N'est-ce pas un peu restrictif de vouloir faire ce genre de portrait robot ?

Tu as la réponse à ta question dans mon livre page 246…Il s’agit de généralités… Il s’agit de dire en 11 points ce qui a été développé en 239 pages… Ce portrait type du métalleux français avait sa place à mon sens dans la conclusion de la première partie. Il indique des tendances générales issues de la synthèse des réponses au questionnaire sur la Planète Metal. Toute personne est unique. Le métalleux ne se réduit jamais en tant que personne à sa passion pour le Metal. En même temps la science procède par généralités. Ce n’est pas parce que je reconnais l’unicité des personnes que je dois pour autant m’interdire une vue d’ensemble de la population Metal en France à partir d’outils statistiques.

Penses-tu que le livre ait changé quelque chose ?

Oui, c’est indéniable. D’abord pour moi ! Ecrire ce genre d’ouvrage ne laisse pas indemne. Ça  a constitué pour moi une expérience passionnante, un exercice de la réflexion et de la pensée. Cela m’a obligé surtout à approfondir des intuitions et à les exprimer le plus clairement possible par écrit. C’est toujours un grand défi pour un auteur que de vouloir se rendre compréhensible et surtout de tenter d’être aussi clair que possible… dans le but d’éviter de mauvaises interprétations ou des récupérations de sa pensée par tel ou tel camp. J’ai eu aussi pas mal de retours de lecteurs. Et parmi ces retours certains m’ont montré que j’avais atteint mon but. Je pense en effet que bien des préjugés sont tombés grâce à mon livre des deux côtés. Il a pu servir de « pont » comme je le souhaitais. Il a même permis la réconciliation ou la compréhension entre une maman catholique et son fils métalleux. Depuis la sortie du livre en 2007 j’ai aussi pu à travers des conférences et des séances de dédicaces nombreuses rencontrer des personnes très différentes par rapport à l’univers Metal. Et cet échange est vraiment quelque chose de passionnant à vivre. Il n’aurait pas pu avoir lieu sans le « prétexte » et le support représenté par L’âge du Metal. Après mon livre, aussi argumenté soit-il, reste impuissant face à des personnes qui ont évacué la raison de leur horizon mental au profit d’une posture intégriste, et des intégristes il y en a autant dans le black Metal que parmi les catholiques...

Je sais que tu reviens du Hellfest, peux-tu nous en livrer tes sentiments ? As-tu été témoin d'actes déplacés de ton point de vue ?

C’était ma première participation au HELLFEST en tant qu’invité à « la table-ronde » de Radio Fidélité le samedi 19 juin. Je n’ai fait que deux jours sur trois. L’ambiance est très agréable et festive. L’organisation au top. La déco du site vraiment originale, et de nuit assez splendide. Je dirais que le Hellfest c’est un peu l’équivalent des Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ = rassemblement des jeunes catholiques du monde entier) pour les métalleux ! Ou encore une espèce de pèlerinage annuel pour les métalleux, le rendez-vous de l’année à ne manquer sous aucun prétexte… Je n’ai été témoin d’aucun acte déplacé comme tu dis. Seulement chagriné par quelques t-shirts du type : « Christians at the lions »…

Y as-tu découvert de nouveaux groupes ? Quels ont été tes meilleurs moments ?

En fait je n’ai eu que très peu de temps disponible pour la musique avec la table-ronde de samedi, les dédicaces à l’extrem-market et les journalistes qui me posaient des questions et me filmaient aussi… sans parler bien sûr des messes du samedi soir et du dimanche matin avec les paroissiens de Clisson… Je n’ai donc fait que 4 concerts… Et sur ces 4 j’ai privilégié des groupes que je connaissais déjà (comme Katatonia) sauf Suffocation sous la Rock-Hard tent.

L'Eglise tenait-elle un "stand" au festival ou bien étais-tu là incognito ?

J’étais présent au festival en tant qu’invité à la table-ronde du samedi. J’aurais aimé avec d’autres catholiques métalleux organiser une présence chrétienne lors du festival mais cela n’a pas pu se faire cette année. Après je n’étais pas très incognito vu ma tenue de prêtre, ce qui a permis bien des échanges et des conversations avec les festivaliers.

Que penses-tu des prises de positions de certains politiciens avant le festival ?

Les polémiques autour du Hellfest avaient déjà commencé avant l’édition de 2009. Ce qui est nouveau cette année c’est en effet la politisation de ces polémiques qui sont remontées jusqu’à l’Assemblée Nationale ! D’un côté nous avons le député Metal Patrick Roy, de l’autre nous avons Christine Boutin et Philippe de Villiers. Pour ces derniers j’espère que leur prise de position contre le Hellfest est honnête et pas simplement électoraliste (c’était avant les élections régionales). Ces hommes politiques ont le droit et la liberté d’exprimer leurs inquiétudes. Après quand je lis la lettre de Madame Boutin au PDG de Kronenbourg (17 mars 2010) je ne la trouve pas convaincante. Son interprétation de l’affiche du Hellfest dans un sens satanique est un véritable contre-sens. Ce visuel se retrouve en effet dans bien des films d’horreur et dans les trains fantômes… Quand elle associe « la culture de mort » au festival, là aussi cela pose un problème intellectuel. L’expression « culture de mort » vient de Jean-Paul II. Le pape faisait référence aux atteintes à la vie humaine depuis sa conception (l’avortement) jusqu’à son terme (l’euthanasie). Je connais des métalleux fan de death Metal (Metal de la mort…) qui sont opposés à l’avortement. Cela n’a donc rien à voir avec la musique Metal. C’est une confusion de sa part. Que le thème de la mort soit présent dans certains groupes de Metal, c’est une évidence. Mais cela ne fait pas pour autant de cette musique « une culture de mort » au sens de Jean-Paul II. La mort est un thème essentiel de la philosophie et de la littérature. La mort est aussi une réalité quotidienne à travers les famines, les épidémies, le SIDA, les guerres, les catastrophes naturelles qui nous sont rapportées en images chaque jour au journal télévisé. Le journal télévisé de 20h serait-il, lui aussi, un grand moment de la culture de mort en France ? La culture Metal, comme toute culture artistique, n’est que le reflet de certains aspects obscurs de nos sociétés, un reflet grossissant certes (une loupe), mais un reflet réaliste. Dans le Metal il s’agit d’imagerie et de paroles. Dans le monde les crimes qui conduisent à la mort sont hélas bien réels. Dans la Bible elle-même nous trouvons des passages très noirs. Celui par exemple où Job, un croyant et un homme juste, souhaite la mort (chapitre 3). C’est par une mort horrible et cruelle que le Christ choisit de nous sauver et de nous faire communier à la vie de Dieu… Est-ce que cela suffit pour dire que la Bible participe à une culture de mort ?

Penses-tu qu’il y avait vraiment besoin d'un tel tapage de la part des catholiques en France ?

La campagne menée par certains catholiques porte essentiellement sur les paroles de certains groupes de Metal. Pour eux le problème se situe à trois niveaux :

  • Paroles sataniques
  • Paroles blasphématoires
  • Incitations à la haine et au meurtre

En préambule je signale un fait paradoxal confirmé par mon étude dans L’âge du Metal. Ces catholiques s’intéressent davantage aux paroles que les fans de Metal eux-mêmes ! Ils ont même contribué à les faire connaître via Internet en particulier ! Quiconque a assisté à un concert de black Metal avec voix gutturale et dans une langue autre que la notre sait très bien à quel point il est difficile de percevoir un quelconque message si l’on n’a pas le livret de l’album en mains.

Le problème de cette campagne anti-Hellfest, surtout visible sur Internet, est sa confusion : se situe-t-on au niveau légal, religieux, politique ? Au niveau légal ni le satanisme ni le blasphème (sauf en Alsace-Lorraine) ne sont interdits dans la France laïque de 2010. Au départ certains groupes catholiques ont situé le débat sur le terrain strictement politique, c’était uniquement la question des subventions au Hellfest. Ensuite c’est parti dans tous les sens jusqu’à une volonté de censure de certains groupes voir du festival lui-même. Au niveau légal ne reste donc que la question des paroles incitant à la haine et au meurtre. Et la question de la censure qui va avec. Des catholiques affirment que ces paroles inciteraient les métalleux à commettre des crimes, en particulier à profaner des cimetières et à brûler des églises. Il y a eu quelques cas en France d’actes de ce type commis par des jeunes (et moins jeunes) écoutant du Metal. Reste à prouver s’ils ont commis ces crimes uniquement à cause du Metal ou aussi pour d’autres raisons, dont des troubles de la personnalité ou des troubles psychologiques, des problèmes familiaux etc. Lors du massacre du lycée de Columbine aux Etats-Unis on a tout de suite accusé Marylin Manson d’avoir inspiré ces actes parce que ces ados écoutaient sa musique. On a découvert ensuite que ces ados vouaient un culte à Hitler et au 3ème Reich et qu’ils avaient choisi la date de leur massacre en fonction de cette histoire. Et finalement les autorités ont occulté la question de fond qui est celle de la facilité avec laquelle un américain peut se procurer une arme à feu… Il était plus facile de s’attaquer à Marylin Manson comme bouc-émissaire qu’au puissant lobby des armes. Est-ce que l’on va interdire le rap parce que les jeunes qui brûlent régulièrement des voitures dans les banlieues de notre pays écoutent surtout du rap ? Est-ce que c’est le rap qui les pousse à commettre ces délits ? Ou une situation sociale de malaise bien plus profonde ? Je fais aussi remarquer que la Bible contient des incitations au meurtre et à la haine. Prises hors de leur contexte ces incitations sont tout simplement scandaleuses. Le chapitre 13 du Deutéronome demande au fidèle d’aller jusqu’à tuer les membres de sa famille qui se détourneraient de la vraie foi dans le Seigneur. Le chapitre 20 du Lévitique exige la mise à mort des adultères, des homosexuels et des zoophiles. Dans le psaume 139 nous pouvons lire : « Je les (les ennemis du Seigneur) hais d’une haine parfaite ». Même dans le Nouveau Testament des formules prises hors de leur contexte et sans étude préalable peuvent choquer : « Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple » (Luc 14, 26). Prise au pied de la lettre cette sentence de Jésus voudrait dire que la condition pour l’aimer serait la haine de sa propre famille. Et même de sa propre vie ! Jésus ferait-il partie de la culture de mort ? La plupart de nos traductions ont remplacé le verbe haïr (qui est un sémitisme, une exagération littéraire) par d’autres verbes moins choquants et traduisant mieux ce que veut dire Jésus ici. Après cet excursus biblique il est temps de rappeler que le Metal n’est pas d’abord de la littérature mais de la musique. Et que les paroles ne doivent pas être isolées de ce contexte esthétique. Notons aussi que des groupes comme Marduk ayant des paroles très violentes à l’égard des chrétiens, paroles que je condamne parce qu’elles ne relèvent pas de l’art mais d’une propagande primaire, sont plus nuancés dans les interviews qu’ils donnent à la presse Metal. Morgan condamne en effet les incendies d’Eglise en Norvège et précise que sa lutte contre le christianisme se situe à un niveau symbolique : « Je n’appelle pas à la lutte armée ni au meurtre »  (Cf. L’âge du Metal, page 173). Oui, des groupes de black Metal attaquent violemment les chrétiens et leur foi, et je comprends tout à fait la souffrance de certains de mes frères croyants. Je crois que ces attaques doivent nous pousser non pas à demander la censure mais à nous poser la seule question vraiment pertinente : pourquoi cette haine du christianisme ? Y aurait-il une explication rationnelle ? Le catéchisme des évêques de France, en abordant la question du blasphème, nous donne une piste de réflexion intéressante :

« 548 Le refus de Dieu, à notre époque, prend des formes diverses, depuis l'athéisme serein ou militant jusqu'à l'indifférence. Il arrive même que, par une mystérieuse hostilité vis-à-vis de Dieu (dans laquelle le croyant peut déceler la présence de l'Adversaire), des hommes et des femmes cultivent une véritable haine du Seigneur, de tout ce qui l'évoque et de tous ceux qui l'invoquent. Littérature, presse et films nous montrent parfois ce genre de dérision et de blasphème alors que d'autres œuvres ouvrent sur le mystère de l'homme et de la vie spirituelle…

Mais ces refus, nous le savons, ont de multiples causes : surestimation de la connaissance scientifique, révolte devant le scandale du mal, notamment les injustices et la souffrance des innocents, répulsion à l'égard de Dieu et de la religion rencontrés dans leurs caricatures.

549 Certaines oppositions, toutefois, peuvent être plus proches d'une véritable attitude religieuse que des conformismes sans âme…
On doit donc se garder de juger ceux qui semblent refuser Dieu. L'indifférence et l'athéisme militant doivent nous trouver lucides sur le mal, mais humbles et respectueux des personnes. Le concile Vatican II souligne en même temps ce que peut être la responsabilité des chrétiens dans la genèse de l'athéisme: "Les croyants peuvent [y] avoir une part qui n'est pas mince, dans la mesure où, par la négligence dans l'éducation de leur foi, par des présentations trompeuses de la doctrine et aussi par des défaillances de leur vie religieuse, morale et sociale, on peut dire d'eux qu'ils voilent l'authentique visage de Dieu et de la religion plus qu'ils ne le révèlent".

Bref les évêques de France nous renvoient à notre responsabilité de croyants (cf. la parabole de la paille et de la poutre). Plutôt que de perdre notre temps à accuser l’autre parce qu’il nous attaque, soyons de vrais chrétiens, d’abord par nos actes et par notre charité, par notre engagement personnel pour la paix et la justice dans le monde, par notre recherche de la sainteté et de Dieu.
La demande de censure ne représente pas à mes yeux la bonne solution. Car elle ne fait que renforcer ceux qui ont de tels messages dans leur haine du christianisme. C’est se donner le bâton pour se faire battre. C’est leur donner raison une fois de plus. Ils pourront alors dire : le christianisme est liberticide, il ne tolère aucune critique, aucune attaque à son égard etc. La demande de censure de la part de certains catholiques ne fait que favoriser la spirale de la haine et de l’exclusion réciproque. La demande de  censure relève d’une époque révolue dans laquelle le christianisme n’était pas seulement une force spirituelle mais imposait aussi sa vision des choses à l’ensemble de la société, époque non-laïque dans laquelle le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, tout en se faisant la guerre épisodiquement, étaient finalement confondus.  Pascal fut autrefois mis à l’Index par l’Eglise… La liste des livres interdits (l’Index) fut abolie par le pape Paul VI en 1966. Dans ce cas pourquoi ne pas interdire à nouveau la vente en librairie et l’étude dans nos lycées des Fleurs du mal de Baudelaire ? Livre certes poétique mais contenant des prières à Satan : « Sois ce que tu voudras, nuit noire, rouge aurore ; il n’est pas une fibre en tout mon corps tremblant qui ne crie : Ô mon cher Belzébuth, je t’adore ! » (Le Possédé). « Gloire et louange à toi, Satan, dans les hauteurs du Ciel, où tu régnas, et dans les profondeurs de l’Enfer, où, vaincu, tu rêves en silence ! Fais que mon âme un jour, sous l’Arbre de Science, près de toi se repose, à l’heure où sur ton front comme un Temple nouveau ses rameaux s’épandront ! » (Prière conclusive des Litanies de Satan). Nous avons, semble-t-il, la mémoire courte et sélective… Depuis la critique acerbe de Rabelais envers la cour pontificale (cf. L’ile sonnante, page 88 du manuel littéraire Lagarde et Michard) jusqu’à la tradition « bouffeurs de curés » de la chanson française en passant par le Tartuffe de Molière et les philosophes des Lumières, l’Eglise et le christianisme n’ont jamais été épargnés par les artistes. Que l’on pense simplement à quelques chansons de Léo ferré dont une action de grâces à Satan (« Thank you Satan ») et une virulente critique du pape Pie XII et à travers lui de la papauté (« Monsieur tout blanc », chanson de 1949 interdite par le Comité d’écoute de la radiodiffusion française).
L’unique modèle des chrétiens c’est Jésus-Christ. La seule question qu’un catholique doit se poser avant d’agir est la suivante : « Qu’aurait fait Jésus dans telle situation ? » Que voyons-nous dans les Evangiles ? Jésus n’a jamais condamné au silence ses opposants pourtant fort nombreux et virulents. Il a refusé d’employer la violence contre ceux qui ne voulaient pas l’accueillir (cf. Luc 9, 51-56). S’il est mort en croix, c’est parce que les chefs des prêtres l’ont condamné comme blasphémateur… (Matthieu 26, 65). Devant ceux qui l’accusaient en produisant de faux témoignages, il a gardé le silence (Matthieu 26, 63). Et surtout agonisant sur la croix, moqué et raillé par les chefs des prêtres et les soldats, il a prié le Père pour ses persécuteurs, pour ceux qui, en le tuant, commettaient, sans le savoir, le blasphème suprême : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23, 34). Non seulement il a prié pour ses bourreaux, mais il les a excusés en présence de Dieu. Dans sa miséricorde infinie, il leur a trouvé des circonstances atténuantes. Oui, nous sommes attaqués dans notre foi en tant que chrétiens par certaines paroles de la musique Metal. Mais n’avons-nous pas à réagir de manière chrétienne à la suite de Jésus ? Est-ce que demander la censure et faire des procès correspond vraiment à l’esprit de Jésus ? J’en doute fort. La « persécution » que nous vivons à travers des paroles et parfois des actes isolés condamnables par la justice nous renvoie en fait aux Béatitudes. Jésus ne nous a jamais promis que nous serions aimés et estimés par tout le monde. Même si nous avons à faire tout notre possible pour être estimés par tous les hommes, y compris ceux qui ne partagent pas notre foi. Voilà le message de l’Evangile, l’aurions-nous oublié ?

« Heureux serez-vous si l'on vous insulte, si l'on vous persécute et si l'on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi.
Réjouissez-vous, soyez dans l'allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux ! C'est ainsi qu'on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés. » (Matthieu 5, 11.12)

Les chrétiens vraiment persécutés ne se trouvent pas en France. Ceux qui sont menacés chaque jour dans leur existence même à cause de leur foi habitent des pays théocratiques (et non laïcs) où la liberté religieuse n’existe pas. Dans ces pays les chrétiens ne se sentent pas agressés par des paroles lors d’un festival de musique une fois par an, mais c’est dans leur chair qu’ils souffrent pour le Christ jour et nuit. Cela devrait nous amener à réfléchir en vérité sur notre situation. Probablement avons-nous d’autres priorités en tant que catholiques français que de faire des procès au Hellfest… Probablement pourrions-nous utiliser nos énergies de manière plus positive… Utiliser notre temps pour traduire des dizaines de chansons Metal à thèmes sataniques, blasphématoires et agressifs pour ensuite leur donner de la publicité en les répandant sur Internet, est-ce une occupation saine et utile ? Je terminerai en citant un extrait du texte de Mgr. Bernard GINOUX, évêque de Montauban :

« Allons-nous condamner 50.000 jeunes qui participent au Hellfest ?  Ne sommes-nous pas appelés à leur dire que quelqu’un les aime ?
Mieux vaudrait leur faire découvrir le visage de celui qui « mange avec les publicains et les pécheurs » que le visage du « juste » qui accuse.
Satan n’est pas dans des représentations. Il vient dans le cœur de l’homme quand nous oublions que nous sommes des pécheurs et que le Christ est notre Sauveur.
Satan corrompt et détruit nos sociétés à travers le profit, l’égoïsme, le refus d’accueillir le pauvre, l’immigré, le faible, il habite nos « structures de péché » (Jean-Paul II). C’est là que sont les ténèbres où doit entrer la lumière du Christ. » (Texte intégral sur le site du diocèse de Montauban)

Y retourneras-tu l'année prochaine ?

Je ne pense pas car en septembre je partirai pour trois ans au service de la communauté française de Copenhague.