Nous sommes en 1989, le mouvement thrash de l’autre côté de l’Atlantique est dans une forme olympique, mené par des groupes devenus des géants du style : Metallica, Slayer, Megadeth, Anthrax, Exodus, Testament… En Europe, on n’en est pas encore là mais on y travaille ardemment. En Allemagne notamment, où deux des futurs ténors du genre sortent cette année-là un album qui n’a pas grand-chose à envier à la production américaine : Agent Orange pour Sodom et ce Extreme Aggression pour Kreator.

Kreator n’en est pas à son coup d’essai puisque le groupe existe depuis 1982 et a déjà sorti trois albums d’un thrash bien brutal et sans concession. Certains diront un peu trop linéaire. Avec Extreme Aggression, le groupe a décidé d’ajouter un peu de subtilité dans son thrash. Et j’ai bien dit un peu car le titre de l’album ne trompe pas sur la marchandise, c’est bien une agression auditive qui nous est proposée à travers ces neuf nouveaux titres, la bande à Mille Petrozza est toujours particulièrement vénère et ça s’entend. Ecoutez donc le titre éponyme, Stream Of Consciousness, Bringer Of Torture ou Betrayer pour en être convaincus. C’est violent, aussi bien par la musique portée par des riffs teigneux que par les textes au vitriol, nihilistes et anticonformistes crachés par un Mille particulièrement agressif. On est assez proche du chant typiquement black metal.
Toutefois, autant Terrible Certainty, l’album précédent, était une grosse déflagration de violence pure qu’on se mangeait en pleine face sans avoir le temps de souffler, autant Extreme Aggression sait varier les tempos et sait glisser çà et là le petit truc en plus qui rend le titre moins linéaire qu’avant. Car même sur les morceaux cités plus haut, pourtant bruts de décoffrage, les guitaristes posent un break ou un solo plus travaillé qu’à l’ordinaire, qui aère l’ensemble (Extreme Aggressions). De son côté, Jürgen "Ventor" Reil se permet lui aussi plus de variations dans son jeu, avec de belles cassures de rythme (Betrayer, Bringer Of Torture...). L’illustration parfaite de ce changement est sans aucun doute le titre Some Pain Will Last, chef-d’œuvre à lui tout seul. Un morceau étonnant de lourdeur, on pourrait presque dire mélodique (pour du Kreator en tout cas) doté tout de même d’une belle accélération en son centre. On note aussi le break harmonieux de Fatal Energy qui pourrait presque faire penser à du Maiden. Dommage que Mille Petrozza semble avoir oublié qu’il avait composé des titres pareils puisqu’on ne les retrouve jamais dans les setlists du groupe aujourd’hui… 

Apparemment, pas de changement dans le line-up du groupe depuis l’album précédent pour la réalisation de ce Extreme Aggression. Mais en réalité, il y en a un et de taille puisque le guitariste Jorg "Tritze" Trzebiatowski, pourtant crédité sur la jaquette (et en photo avec le reste du groupe), n’a pas participé à son enregistrement final. En effet, Kreator avait commencé à enregistrer cet album en Allemagne mais Mille, insatisfait du travail de Tritze sur les compositions, fonce aux USA pour réenregistrer avec un autre guitariste, Frank Gosdzik alias Blackfire, qui vient, lui, d’enregistrer Agent Orange avec Sodom. Tritze ne quittera officiellement le groupe qu’après la sortie de l’album et c’est bien Blackfire qui assurera la tournée de promotion (et pas celle de Agent Orange du coup, qui sort quasiment en même temps...). Toujours est-il que Blackfire, plus technique que Tritze, ajoute un peu de subtilité aux compositions et les petites touches mélodiques sur les solos de cet album, c’est bien à lui qu’on les doit. Le passage aux Etats-Unis a aussi et surtout permis au groupe de bénéficier du travail de Randy Burns à la production (qui a bossé avec Megadeth, Possessed, Nuclear Assault entre autres), qui a donné à cet album un son bien clair, sec, qui claque comme un coup de fouet. 

L’album ne comporte aucun titre faiblard, tous les morceaux sont des brûlots de thrash imparables. Et grâce à la vidéo de Betrayer, le groupe gagne enfin en popularité aux USA où elle est diffusée régulièrement dans l’émission Headbanger’s Ball sur MTV. Kreator réalise un bond en avant avec son Extreme Aggression.

On pourra s’étonner de ne pas retrouver sur la jaquette la mascotte démoniaque du groupe qui ornait toutes les pochettes jusqu’à présent (et la suivante). C’est tout simplement parce que la première illustration qui mettait en scène la fameuse mascotte en train de dévorer le crâne d’un type devant un miroir n’a pas plu aux membres de Kreator et fut remplacée au dernier moment par cette photo du groupe sur fond rouge / orange. Et cette pochette sera finalement le seul défaut de cet album.

Extreme Aggression montre un groupe en pleine ascension, chaque album surpasse le précédent. Et même si, comme beaucoup, je lui préfère le suivant, Coma Of Souls (l’ascension n’était donc toujours pas terminée), cet album fait partie des meilleurs du groupe allemand, aucun doute là-dessus. A posséder, pour tout fan de thrash qui se respecte.  

Tracklist de Extreme Aggression :

01. Extreme Aggressions
02. No Reason To Exist
03. Love Us Or Hate Us
04. Stream Of Consciousness
05. Some Pain Will Last
06. Betrayer
07. Don’t Trust
08. Bringer Of Torture
09. Fatal Energy