Artiste/Groupe:

Morbid Angel

CD:

Kingdoms Disdained

Date de sortie:

Décembre 2017

Label:

Silver Lining Music

Style:

Death Metal

Chroniqueur:

Kjeld

Note:

18/20

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Pour bien faire les choses, je n'ai pas voulu voir en ce disque une réponse cinglante et vengeresse au tristement célèbre Illud Divinum Insanus, album accident, piteusement audacieux et surtout totalement à part dans l'histoire de Morbid Angel. En faire d'entrée de jeu la conséquence d'un acte manqué lui aurait en effet conféré un statut peu glorieux d'album composé sans autre but que de satisfaire une fanbase destabilisée par cet ovni sorti en 2011. Aucune envie non plus de le comparer aux légendaires opus sortis par le groupes dans les années 90. Tout simplement parce que l'époque n'est plus aux classiques fondateurs qui traversent les générations, le monde a changé, quand dix albums sortaient il y a vingt ans, ce sont cent cinquante nouveles galettes qui déferlent sur nous aujourd'hui et aucune d'entre elles n'aura suffisamment d'espace pour devenir la pierre angulaire d'un embryon de scène naissante. Kingdoms Of Disdained, qui ne peut donc en 2018 avoir l'impact d'un album sorti en 1991, n'aura jamais l'aura d'un Altars Of Madness ou d'un Blessed Are The Sick traînant derrière eux plus de deux décennies de célébration fanatique. Au jeu de la comparaison le petit dernier aurait perdu la partie d'avance et son écoute s'en serait trouvée automatiquement faussée et obligatoirement décevante. Non, j'ai préféré faire fi du passé et prendre ce disque sans lui faire porter le poids de l'héritage ô combien remarquable du nom mythique qui l'a engendré et ne garder en tête que la seule question qui vaille d'être posée raisonnablement : ce nouvel album est il un bon Morbid Angel ?

Parlons déjà de cette production signée Eric Rutan, production décriée par certains et qui a fait tant parler durant ces dernières semaines. Sur une enceinte bluetooth, sur Youtube, délicatement appréciée sur un téléphone portable ou avec un casque intra auriculaire, le son de l'album doit en effet être difficile à appréhender. En revanche sur de vraies enceintes, alimentées par un véritable ampli, c'est à dire sur du matériel Hi-Fi dédié à l'écoute de musique, Kingdoms of Disdained est d'une cohérence parfaite. Sa production exigeante, lourde, massive, boueuse même, rendant parfaitement hommage à l'atmosphère apocalyptique décrite dans les textes et à toute la colère qu'ils renferment. Morbid Angel n'a jamais suivi les modes éphémères en matière de production, que ce soit avec Blessed Are The Sick, Formulas Fatal To The Flesh ou encore Heretic, le groupe a toujours proposé des enrobages sonores bien à lui, plus ou moins appréciés mais toujours très personnels. En ce sens, ce petit nouveau ne fait pas exception à la règle et montre d'entrée de jeu un caractère âpre et bien affirmé laissant néanmoins le loisir de distinguer clairement les différentes couches de guitares, (et elles sont nombreuses), et de profiter pleinement de la prestation ahurissante du jeune Scotty Fuller à qui revient la lourde tâche de succéder à l'immense Pete Sandoval, (l'épisode Tim Yeung étant sans réel intérêt). A album brutal donc, et celui-ci l'est très clairement, production abrupte et traitement sonore revêche, cette cohésion d'ensemble est ici inattaquable. C'est sale, c'est gras, sauvage mais cette mélasse retentissante colle idéalement à chacun des onze morceaux.

Les même qui reprochent à Morbid Angel de ne faire que du Morbid Angel regrettent l'abscence de gimmicks habituels chez le groupe (contradiction quand tu nous tiens..). En effet il n'y a pas beaucoup de ces solos tridimensionnels dont seul Azagthoth semble avoir le secret, les interludes instrumentaux qui ont souvent aéré les albums des Floridiens ont disparu cette-fois ci pour laisser place à un déferlement ininterrompu comme c'était déjà le cas sur Altars Of Madness. Nous sommes certes privés (en partie, car les envolées hallucinées de six cordes sont tout de même bien présentes), de ces petits plaisirs mais il nous faudra bien un jour admettre qu'un disque n'est pas le résultat de choix personnels que nous aurions fait sur un menu, et comprendre qu'un album est la vision de son créateur et non pas la commande de son auditeur. Ainsi, Trey Azagthoth, qui sait mieux que nul autre comment doit sonner Morbid Angel en 2017, nous présente aujourd'hui sa créature dans ce qu'elle a de plus obscure. Masse tellurique, bouillonnante, édifice noir et virulent, entièrement dédié à la cause d'un Death Metal unique quoi qu'il arrive. C'est cette forme là qu'il veut faire rugir, avec ce line-up haut de gamme qui honore avec talent des compositions denses et épaisses aux multicouches sonores que l'on ne retrouve nulle part ailleurs dans le monde pourtant vaste des musiques de l'extrême. Bien sûr nous sommes blasés, nos millions d'heures d'écoutes métalliques au compteur, bien sûr nous sommes certains d'avoir déjà tout entendu mais la structure et la progression implacable du terrassant Declaring New Law (Secret Hell), le riffing chaotique et frénétique de D.E.A.D, le groove bestial de Architect And Iconoclast, ses guitares opaques et dégoulinantes, ou encore le final monstrueusement psychédélique de The Pillars Crumbling ne peuvent nous faire oublier que ce travail est celui d'une entité définitivement différente, titanesque, qui aura influencé toutes les autres et reste encore largement capable de mettre sa fessée à n'importe quel petit Behemoth, sans âme et sans talent, qui oserait lui contester sa suprématie historique. Les autres jouent du Death Metal, Morbid Angel est Morbid Angel, intouchable car déjà beaucoup trop loin, déjà ailleurs depuis si longtemps... Au delà du genre, Morbid Angel, impérial et dominateur une fois de plus, est !

Il faudra évidemment plus de trois écoutes distraites pour s'imprégner de cet album Cthulhuesque, dense, et bien moins évident qu'il n'y paraît, mais Kingdoms Of Disdained, comme tous les opus du groupe, trouve largement sa place dans une discographie remarquable et singulière, entouré d'oeuvres majeures devenues cultes au fil des ans mais ayant parfois reçu un accueil pour le moins tiède de la part de la presse et du public au moment de leur sortie. Laissons donc à cette nouvelle offrande impérieuse le temps de libérer toutes ses saveurs et offrons lui surtout le nombre d'écoutes attentives qu'elle mérite pour ne pas la juger trop hâtivement, bêtement, sans savoir... Ne cédons pas à la tentation pressée d'un monde fou qui exige de nous un avis définitif et rapide sur à peu près tout. Ne survolons pas la musique, cette musique, gardons le temps pour apprécier cet Art là et laissons lui l'occasion de nous raconter son histoire, Morbid Angel a en effet toujours eu beaucoup à dire à qui veut bien s'investir. Un grand groupe, un gros disque !

 Tracklist de Monuments - Kingdoms Disdained :

01. Piles of Little Arms
02. D.E.A.D
03. Garden of Disdain
04. The Righteous Voice
05. Architect and Iconoclast
06. Paradigms Warped
07. The Pillars Crumbling
08. For No Master
09. Declaring New Law (Secret Hell)
10. From the Hand of Kings
11. The Fall of Idols