Groupe:

TRANK

Date:

09 Septembre 2020

Interviewer:

Didier

Interview Michel Jouveaux

Salut Michel, merci de nous accorder cette interview. Peux-tu nous présenter le groupe TRANK ?

Merci à toi. TRANK est un groupe de rock alternatif français, assez intense et puissant mais accessible, qui existe – en tout cas dans sa formation actuelle – depuis 2016. On avait tous des expériences diverses et assez longues dans des groups amateurs ou semi-pros, voire pros – et on était tous en recherche d’un projet dont la musique et la dynamique de groupe nous passionne assez pour qu’on s’y investisse à fond. Quand j’ai rencontré Julien (guitares), je cherchais quelqu’un capable de composer des morceaux rock assez puissants pour me laisser utiliser une palette vocale plus large et plus rock (rauque ?) que mes propres compos (plutôt mélancoliques), mais avec en même temps assez de richesse mélodique et de « noirceur » pour parler à ma fibre vaguement goth. Il avait tout ça et une espèce de flamboyance unique en plus – dès les premières démos en boîte, j’ai contacté mon ami batteur, Johann, dont je savais qu’il cherchait aussi un projet vraiment unique dans lequel s’investir. Ca nous a pris du temps pour trouver notre bassiste idéal, David – mais quand il est arrivé, quelque chose s’est mis en place, à la fois en termes d’identité musicale et de relations de groupe – et TRANK et devenu le vrai gang auquel on aspirait.

D’où vient le nom du groupe ?

Ha ! On cherchait un nom simple, prononçable dans toutes les langues, et pour une raison ou une autre on voulait un « K » dedans – pour refléter l’espèce de rigueur un peu germanique, monolithique, du son qu’on commençait à forger à l’époque. C’est Johann qui a eu l’idée de mélanger deux des exemples qui je lui avais donnés – « Crank », du nom des films assez délirants dans lesquels Jason Statham court après les boosts d’adrénaline pour ne pas mourir (un peu comme nous, finalement…) – et « Boing Boom Tschak », un titre très drôle de Kraftwerk dans lesquels ils rigolent des critiques qui leur reprochent de faire de la musique robotique et simpliste. Ca a donné TRANK, qui est aussi l’abrégé de « tranquillisant » en anglais, mais c’est une coïncidence et une blague au vingt-cinquième degré plus qu’autre chose, vu le genre de berceuses qu’on joue.

3. A l’écoute de votre premier album, je me dis que vous avez pas mal d’influences dans votre son, lesquelles choisirais-tu de citer ?

On a tous des goûts très éclectiques et assez complémentaires, mais on se retrouve autour de références qui arrivent à marier une forme de puissance accrocheuse avec une certaine noirceur mélodique : ça va de références du métal des 90’s comme Soundgarden ou Deftones, à la cold wave de Killing Joke ou Depeche Mode, en passant par le rock alternatif à le fois épique et tourmenté de gens comme Muse, Royal Blood ou Placebo, ou les raffinements assez ambitieux de Steve Wilson et Porcupine Tree. C’est d’ailleurs Andy Van Dette, qui a masterisé « In Absentia » de Porcupine Tree, à qui on a confié le mastering de notre propre album – précisément pour mettre en valeur le côté à la fois puissant et fouillé des morceaux.

On a pas souvent du rock, encore moins metal made in Haute-Savoie, je connaissais les Blackrain, est-ce que ça n’est pas une terre de metal ?

Pour l’essentiel oui, mais il y a aussi une vraie diversité de groupes – on est par exemple très potes avec les excellents Bear’s Towers, dont la musique est plus proche de Mumford & Sons et de toute une vague alt folk, et qu’on vous recommande chaudement. Et puis, on est proches de la Suisse, d’où sont venus des groupes comme les Young Gods, pas seulement Gotthard :-). Sans compter le fait qu’on vit ici, mais qu’aucun de nous n’en vient : je suis camarguais (mais on n’a pas encore prévu la collab avec les Gipsy Kings...) et j’ai longtemps vécu à Paris, Johann vient de Bourgogne, Julien de Grenoble et David du Sud-Est.

Vous avez l’air de pas mal trainer sur Genève, c’est mieux chez nos amis helvêtes pour la zic ?

On est tous venus à Genève et dans la région pour le travail. Mais il se trouve qu’en plus d’être agréable à vivre (sans avoir besoin d’être milliardaire), la ville est aussi nettement plus active musicalement que ce que la plupart des gens ne le croient. On a par exemple enregistré une bonne partie de l’album au studio des Forces Motrices, un endroit assez génial tenu par notre pote David Weber, dans lequel il a enregistré et mixé des gens comme Mickey 3D ou des pointures du rock industriel comme les Young Gods (qui sont suisses) ou Treponem Pal (les pionniers français du genre). Et c’est aussi là – et à Montreux – que bosse beaucoup notre producteur et ingénieur en chef, Yvan Barone (Monsieur le Baron pour les intimes).

J’ai lu dans votre bio que vous aviez tourné avec des grands noms comme Deep Purple, Anthrax, Disturbed et Papa Roach, pas pour des dates françaises mais pour des dates en Europe de l’Est. Comment avez vous réussi ce tour de force ?

Au culot. Après un premier EP pour se faire la main fin 2016, on a enregistré 3 des chansons qui composent l’album en 2018. Non seulement on en était contents (ça n’arrive pas souvent), mais on s’est rendu compte que tout ça sonnait assez « ample », très cinématique : on préférait donc mettre les chansons en valeur en les jouant dans de grandes salles, comme groupe de première partie, que comme headliner dans des petits jauges. On y est donc allés au culot, à contacter des gros tourneurs sur le thème « si l’un de vos grands groupes cherche une première partie… ». Quand ils tournent en Europe de l’Est, la plupart des groupes internationaux choisissent des premières parties ponctuelles plutôt que de tourner avec le même groupe pour des séries de dates, donc on s’est dit qu’on avait nos chances. Et pour la faire courte, d’abord Deep Purple, puis tous ces autres groupes que tu cites ont aimé les chansons et nous ont fait confiance. On a fait pas mal de petits concerts qu’on a adoré, mais le fait est que de jouer dans des arènes de 16,000 places pleines à craquer nous a appris beaucoup. A tel point qu’on a d’ailleurs réenregistré les trois fameuses chansons, ainsi qu’une partie de notre premier EP, pour les versions qu’on trouve sur l’album : à jouer devant des foules pareilles, on a eu pas mal d’idées sur la meilleure manière de sonner aussi épiques qu’on voulait – tout en restant accrocheurs.

Comment se sont passées ces tournées ? Des anecdotes rigolotes sur ces tournées ?

On a été reçus de manière incroyable, non seulement par les groupes mais par leurs publics. Par exemple, quand on a ouvert pour Papa Roach, le staff de la salle est venu nous voir à la fin pour nous dire, « les mecs, vous avez eu droit à un accueil de headliner, pas de première partie : on n’a jamais vu ça. » Côté anecdotes, il y en aurait un paquet, mais je crois que ce qui nous a le plus marqués, ça a été l’accueil, l’hospitalité, la générosité incroyable des gens de Deep Purple. Ils ont sorti un communiqué de presse la veille du concert, à NOTRE sujet, demandant à leurs fans de venir assez en avance pour voir tout notre show – résultat, la salle était bondée et enthousiaste dès la première minute ; ils nous ont permis d’afficher le logo du groupe sur leur écean géant de genre 10 mètres sur 5 pendant tout le concert ; et on a beaucoup discuté avec Don Airey, le clavier, qui est même venu filmer le soundcheck… Mais le mieux – on a appris par leur directeur technique, en sortant de scène après que le set a fait un carton, que trois d’entre eux étaient sur scène derrière nous à regarder le show, l’air ravi : on a demandé la permission d’en faire autant – et non seulement on a pu assister à un concert de Deep Purple (en pleine forme) SUR leur scène, planqués derrière le décor, mais en plus, pendant un solo de clavier, STEVE MORSE est venu discuter avec nous en plein concert. Une crème, et un grand moment de surréalisme.

Quels ont été les accueils dans les pays visités ? Une grosse différence avec la France ?

Accueil incroyable partout. On a aussi cartonné au Festival Atlas, en Ukraine – et même en première partie d’Anthrax, alors que comparé à eux, on joue du Francis Cabrel… Je crois que nos souvenirs favoris sont les moments où les gens reprenaient en chœur dès le deuxième refrain de chaque chanson. En yaourt, mais le cœur y était, et ça faisait chaud au nôtre.

Vous sortez votre premier album, The Ropes. D’abord pourquoi ce titre et ce choix d’Artwork sur le thème du Shibari (l’art du bondage japonais) souvent associé à des pratiques sexuelles SM ?

On s’est assez vite rendu compte qu’il y avait un thème commun à toutes les chansons qui composent l’album : celui des liens, parfois complexes, souvent inconscients, qui nous lient les uns aux autres – relations de pouvoir, de dépendance, d’envie ou autres. C’est particulièrement vrai de la chanson titre, « The Ropes » (les cordes, donc), et l’idée (pas si nouvelle que ça) de matérialiser les liens en question sur fond d’imagerie Shibari ou SM est venue assez vite dans nos discussions avec Alban, notre directeur visuel : il doit être aussi pervers que nous… L’idée en question est au centre du clip à paraître, et du design de l’album, dont les visuels ont été pris sur le tournage. Par ailleurs, il était essentiel pour nous de faire en sorte que l’aspect visuel du groupe soit aussi loin que possible des clichés, en particulier du métal : d’où le recours au Shibari – les modèles avec lesquels on a travaillé et le traitement visuel immaculé d’Alban apportent à tout l’album une spiritualité et une forme d’élégance qui nous plaisent énormément.

Les paroles sont en anglais, et ont l’air d’avoir fait l’objet de pas mal d’attention. Qui est à la plume dans le groupe ?

Pour les textes, c’est moi. Une fois l’instrumental de chaque chanson abouti ensemble, je pioche dans mon carnet de notes plein d’idées de textes, jusqu’à ce que je trouve la phrase qui se marie instantanément, soit à l’esprit du morceau, soit à une ligne mélodique particulière, et je construis le reste au tour de cette idée centrale. Après quoi Johann m’aide à couper ou réarranger ici ou là pour plus d’efficacité rythmique.

J’ai lu que vous vouliez faire de la musique qui fasse “sauter et réfléchir”, j’avoue que je n’ai pas forcément tout compris dans les textes, comme s’il me manquait toujours un bout du contexte. Peut-être que tu peux m’expliquer certains de ces contextes ?

Aaah, mais c’est ça qui est intéressant : devoir réfléchir un peu et apporter sa propre lecture du texte. J’aime beaucoup la manière dont Martin Gore de Depeche Mode, ou dans un autre genre Leonard Cohen, écrivent (ou écrivait, pour Leo) des textes lisibles à plusieurs niveaux : ma chanson préférée de tous les temps doit être « Never let Me Down Again » - qui est un texte sublime sur la dépendance, mais à qui ? A quoi ? Heureuse ou malheureuse ? Sereine ou menaçante ? « Personal Jesus », que tout le monde prenait au début pour un texte sur la foi religieuse, est en fait inspiré par une déclaration de Priscilla Beaulieu Presley sur la manière dont elle voyait son Elvis de mari. A ma petite mesure, j’essaie d’écrire des textes, non seulement qui amplifient l’impact des chansons niveau rythme et émotion – mais qui peuvent aussi être lus à plusieurs niveaux. Par exemple, « Bend or Break », qui est inspirée par l’ambiguïté des relations dominant / dominé, et donc clairement sexuelle au premier degré, parle au fond de résilience (et BING, une tarte à la crème – mais c’est vrai), de la résistance aux épreuves de gens qu’on peut croire « faibles » ou opprimés. Du coup, les publics d’Europe de l’Est pour lesquels on l’a jouée l’ont adorée.

Côté style musical, je trouve qu’on ne s’ennuie pas une seconde sur cet album, qui touche a pas mal de choses. Comment travaillez-vous au niveau composition ?

Merci ! C’est le but. On aime beaucoup l’idée que chaque concert, chaque album, et aussi chaque chanson soit un trip en soi – tout en restant cohérents dans notre son et notre style, on met donc un point d’honneur à varier les plaisirs côté rythmique, énergie et atmosphère : être pied au plancher tout le temps sur un morceau ou deux peut être complètement légitime, mais sur tout un album ou un concert, ce serait vite saoulant. La diversité vient aussi de la manière dont on compose et on arrange les chansons, en groupe : la musique est en général apportée sous forme d’idée, embryonnaire ou déjà assez aboutie, par l’un d’entre nous, souvent Julien (guitares) ou David (basse) ; puis l’idée est développée et structurée par Johann (batterie) et moi, avant d’être arrangée et affinée ensemble en salle de répète. Une fois qu’on a une base guitare / basse / batterie qui se tient, je commence par ajouter un peu de couleur avec les machines (j’ai une collection de vieux synthés dont les plus anciens datent de 1979), puis on retravaille un coup pour être certain que tout fonctionne ensemble. Une fois l’instru achevé, je pose le texte et la mélodie vocale. Il arrive aussi que j’amène un morceau complet au groupe – sous forme de démo avec la structure et la voix complètes, mais sans arrangements, pour que le morceau reflète au final l’identité sonore du groupe, ce côté à la fois massif et fouillé qui tient énormément aux styles de jeu et au son de chacun.

Je disais plus haut que vous chantiez en anglais, mais je précise que c’est dans un anglais impeccable, tu es bilingue ou tu travailles dur la prononciation ?

Merci :-). J’ai appris l’anglais dans les disques de ma jeunesse – puis en bossant pour une boîte anglophone pendant près de vingt ans. Je suis le pire claviériste du monde (vive le sequencing), mais j’ai une bonne oreille. Et je voulais vraiment éviter le cliché du groupe français qui fait « ze wok ine inegliche, yé yé yé bébi ». J’adore le Français, c’est une langue à la richesse texturale incroyable et aux nuances infinies – mais je l’associe plus à la « chanson », au sens noble du terme, qu’au rock : alors que l’anglais à ce côté élastique et assez naturellement rythmé qui va bien à ce qu’on fait. Qui plus est, le but c’est de faire marcher TRANK à l’international, et pour ça, rien de mieux que l’Anglais.

Comment s’est passée pour vous cette période de confinement, avez-vous profité de ce moment de calme pour être créatifs ?

On en a profité pour finir de mixer l’album, surtout. Brian Robbins, qui est l’ingénieur de Bring Me the Horizon (l’une des références de Julien) et Asking Alexandria, habite à New York : donc, une fois l’enregistrement fait ici, on lui a balancé les pistes, et établi une méthode de travail à distance avec lui, via appels vidéos, notes d’intention pour chaque morceau et commentaires détaillés pour chaque round de mix. Le morceau le plus rapide a pris quatre rounds, le plus lent… Quatorze. On a cru qu’il allait nous tuer, mais le mec est une crème en plus d’être un professionnel incroyable. On a aussi essayé de combler la frustration de ne pas pouvoir jouer ensemble en bricolant une ou deux reprises qui sortiront bien un jour. Mais pour être clairs, on MEURT d’envie de remonter sur scène. On est tous des maniaques et la construction des morceaux en studio a été un processus génial, mais au final, ce qui nous fait vibrer c’est d’échanger avec les gens. Il se passe un truc à la fois animal et spirituel, entre nous, mais aussi et surtout entre nous et le public, qui est irremplaçable.

Pour ce qui est de la promotion de cet album sur scène, ça va être compliqué, je suppose ?

Malheureusement. MAIS – si tout va bien – il y a un concert de « release party » le 07 novembre au CCO de Lyon, à l’occasion duquel on partagera la scène avec deux groupes importants du coin : nos amis de Perséide, dont le style est assez proche du nôtre, et les Stereotypical Working Class, un groupe alternatif culte qui a bossé avec Mass Hysteria.

J’ai lu aussi que vous bossiez tous sur Genève, vous êtes donc ce qu’on appelle des “frontaliers”. Vous pensez que vivre de la musique n’est plus possible en France aujourd’hui ? Ou bien ça n’était pas le but initial de TRANK ?

On a tous des boulots, en effet. Comme beaucoup d’autres groupes aujourd’hui, d’ailleurs. D’abord parce qu’on vient à la musique professionnelle assez tard, et aussi parce que, réalistement, l’état de l’industrie de disque aujourd’hui ne permet qu’à peu de groupes de vivre de leurs droits ; en particulier à peu de groupes de rock, dont l’audience est plus marginalisée aujourd’hui, alors que le mainstream est occupé par la pop, le RnB et l’électro. Mais honnêtement, plutôt que de se plaindre sur le thème « c’était mieux avant, » on choisit de voir ça comme une force : on n’a pas besoin de vendre pour vivre, le projet de TRANK reste donc de faire la musique qu’on veut entendre, et de la jouer pour un maximum de passionnés qui se reconnaîtront dans ce qu’on fait.

J’ai vu que vous aviez aussi soigné vos clips vidéo, comment avez vous bossé cette esthétique les clips de Bend or Break et Undress To Kill ?

L’aspect visuel est très important pour nous, et à titre personnel beaucoup des artistes qui m’ont le plus marqué, Depeche Mode, Massive Attack, Nine Inch Nails, Bowie, Kraftwerk, ont toujours considéré le visuel comme partie intégrante de l’expérience qu’ils proposaient à leur public. On a eu la chance de rencontrer très vite notre ami Alban Verneret, qui est un photographe et un réalisateur bourré de talent, incroyablement réactif, qui aime et COMPREND notre musique, et qui a réalisé tous nos clips et visuels (sauf notre premier clip, par ailleurs excellent, pour Take the Money and Run, réalisé par notre ami Jean-Baptiste Andrea). Alban partage avec moi une énorme admiration pour le symbolisme élégant et un peu tordu d’Anton Corbijn, et on a avec lui une méthode de travail qui consiste à discuter du sens du texte avant tout, pour trouver un concept narratif qui le mette en valeur : une fois le concept aligné, on lui délègue tout le reste ; notre confiance en lui est totale.

C’est important aujourd’hui cette promotion vidéo, celle des médias sociaux ?

Vu le contexte et les concerts impossibles, au-delà de l’aspect artistique, c’est même essentiel : si on n’est pas vus, on n’est pas entendus.

On voit souvent sur les vidéos, la guitare de Julien et un petit écran près du chevalet, à quoi sert-il ? Il a fait ça lui-même ?

Ha ! Non, ça fait partie de la guitare. Julien joue sur des guitares Manson, la même marque que Matt Bellamy de Muse ; l’écran en question est un contrôleur tactile midi, qu’il utilise pour gérer des effets ou des synthés externes. Ca ajoute non seulement un aspect visuel intrigant, mais surtout une couleur sonore et une expressivité uniques. On utilise pas mal d’électronique dans TRANK pour enrichir la couleur des chansons, leur atmosphère – la plupart du temps les sons viennent de mes synthés, mais sur certains morceaux il les crée lui-même avec l’aide du pad en question, et il s’en sert aussi beaucoup pour contrôler des effets comme sa sacro-sainte Whammy (l’esprit de Tom Morello dans une pédale). Ca ajoute encore au côté assez flamboyant de son jeu.

Sur une autre vidéo du groupe vous reprenez le morceau Enjoy The Silence de Depeche Mode, c’est un groupe référence pour vous ?

Alors au cas où ça n’était pas clair dans les 463 mentions précédentes du groupe en question, oui :-). Je suis fan depuis 1983, et j’ai plus ou moins converti les autres, notamment en les emmenant voir DM sur scène. La manière dont ils réconcilient le clair et l’obscur, une forme de mélancolie perverse avec l’énergie nécessaire pour faire bouger des stades, et dont ils mettent, depuis toujours, quelque chose de très expérimental dans le format « chanson », tout ça fait d’eux une référence et un exemple. Et Dave Gahan est mon frontman favori de tous les temps (avec Freddie Mercury et Prince pour d’autres raisons).

C’est rigolo car à la première écoute de l’album je trouvait que ta façon de chanter était très proche de celle d’une autre groupe français que je trouve excellent, Molybaron. Est-ce que tu connais ce groupe ?

Non, mais je vais écouter. Je dois reconnaître avoir plus ou moins délibérément recentré mon écoute sur du back catalogue depuis une bonne dizaine d’années.

Tout l’album m’a beaucoup plu, mais j’ai bien sauté sur Again, que je trouve très indus et qui me rappelle beaucoup le style de Sidilarsen, que tu connais peut-être ?

Non plus. Mais merci pour l’album et pour Again. C’est en effet un morceau qui lorgne du côté, sinon de l’indus, du moins de la cold wave / électro, du fait de son côté à la fois « dansant » et sinistre, avec malgré tout un gros riff qui conserve son ancrage dans le territoire sonore de TRANK. Encore une fois, la musique qu’on fait n’a rien d’extrême : elle est intense, souvent sombre, mais on n’oublie jamais de rester accrocheurs – l’idée est que les gens prennent du bon temps, parce qu’on prend des idées assez noires et qu’on les met en forme d’une manière cathartique, qui fait bouger dessus.

Je ne vous ai pas trouvé dans mon abonnement QOBUZ (streaming HiFi), c’est important d’être présent sur les fameuses plateformes de streaming ?

AAAAARRRRGH j’aurais aimé que tu ne poses pas la question ! Je suis HYPER FAN de Qobuz pour la qualité du son, très supérieure à tout le reste (et le fait qu’ils sont français), mais pour le moment le distributeur en ligne avec qui on bosse ne les couvre pas, et je suis le premier à en être verdâtre. MAIS – le plan est d’être bientôt présent chez eux : on travaille à la préparation du master de l’album en haute résolution (24/96), ça devrait être disponible d’ici la fin de l’année. En attendant, on est sur iTunes, Spotify, Deezer et pas mal d’autres.

Pourtant j’imagine que vous avez entendu la polémique autour de l’intervention du patron de Spotify ? Ca vous fait réagir ?

Ce type est un connard, malheureusement loin d’être isolé dans son genre. La caricature de ce que l’économie de marché produit de pire quand on lui laisse la bride sur le cou. S’il ne vendait pas de la musique, il serait maquereau. On travaille avec Spotify parce qu’on n’a malheureusement pas le choix pour l’instant, et il faut reconnaître que les gens en-dessous de lui bossent plutôt bien. Mais il est l’incarnation au XXIème siècle de ce qu’étaient les patrons de labels des années 50 et 60, qui s’engraissaient sans vergogne ni scrupule sur le dos des Chuck Berry, Ray Charles et autres Sam Cooke – jusqu’au jour où ils finissaient derrière les barreaux. Cela dit, ces mecs-là avaient au moins le minimum d’intelligence nécessaire pour comprendre la manière dont bossent les artistes, alors que l’autre, là, s’y connaît visiblement au moins autant en songwriting que moi en astrophysique. J’attends avec impatience le jour où, suivant la loi de la jungle, il tombera sur une sangsue encore plus dénuée de scrupules que lui, et finira par enchaîner les conférences et les ouvertures de supermarchés pour expliquer pourquoi et comment il s’est planté – « mais c’était pas ma faute, c’est celle des artistes, qui n’ont rien compris. »

Malgré le bordel engendré par la crise sanitaire, quels sont vos projets pour TRANK en 2021 ? Est-ce que certains d’entre-vous ont des projets parallèles ?

On veut avant tout pouvoir exposer un maximum de gens à l’album. Sur scène, sur les réseaux, en magasin physique etc (on travaille même sur un vinyle, un vrai, un double fait comme il faut). On a tous à l’occasion des projets ponctuels (par exemple je viens de faire une voix pour un groupe indus-techno français excellent du nom de Mokroié : on verra quand ça sort). Mais ça reste très ponctuel : on met tout ce qu’on a dans TRANK, on croit à ce qu’on fait ensemble, et on a l’esprit de gang qui fait que les distractions et autres conflits de priorités sont pratiquement inexistants.

Je te remercie de nous avoir accordé de ton temps, je te laisse le mot de la fin pour nos lecteurs...

Merci à toi pour tes questions. Pour tes lecteurs – on les invite à acheter français :-) : ou plus sérieusement, à soutenir la scène rock, d’ici, qu’il s’agisse de nous ou des autres. On vous promet, ça fait pas de mal : ça fait même du bien, d’après ce qu’on nous dit.

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